Entretien : Bethan Laura Wood, la fée du design britannique

La designer anglaise Bethan Laura Wood incarne, avec l’éclat de la trentaine, la magnifique tradition des « British eccentrics ». Au point d’échapper au monde du design art qui lui tend les bras. Après Design Miami / Basel, Milan, Venise ou Mexico, l’ancienne étudiante du Royal College of Art, devenue la jeune designer du moment, garde la tête froide. Elle nous reçoit dans son atelier londonien où la couleur le dispute à l’étrange.

En 2009, quand vous avez décroché votre diplôme au Royal College of Art (RCA) de Londres, étiez-vous plutôt art ou design ?
Dans ma plateforme, dirigée par Jurgen Bey et Martino Gamper, j’ai étudié le design industriel. Le thème était la ville. Il fallait concevoir des projets pour le quotidien. Nous n’étions pas obnubilés par les grands éditeurs de design, il y en a peu au Royaume-Uni. Lorsque nous pensions production de masse, c’était vraiment pour une implication locale, à l’échelle des gens.

Jurgen Bey et Martino Gamper, vos mentors, vous incitaient-ils à expérimenter ?
Oui, sans réserve, et je leur en serai éternellement reconnaissante. Martino Gamper m’a aussi beaucoup soutenue après mon diplôme, notamment auprès de la galerie Nilufar de Milan pour laquelle il travaille. Le RCA n’est pas une école facile, mais une telle expérience ne se refuse pas. Au départ, le niveau d’expérience est plus ou moins le même pour tous. Cela force à penser à grande échelle. On n’y conçoit pas simplement des tasses à thé. Il s’agit plutôt de prendre conscience des interactions qui régissent des systèmes plus importants. Il faut simultanément penser à des niveaux d’échelle différents. J’ai adoré le RCA, mais y trouver sa voie est un défi.

Wood London Studio, dans d’anciens entrepôts où six designers et un sculpteur partagent savoir-faire, machines… et charges.
Wood London Studio, dans d’anciens entrepôts où six designers et un sculpteur partagent savoir-faire, machines… et charges. Andrew Meredith pour IDEAT

Comment travaillait-on au RCA ?
Ron Arad finissait d’y diriger les études. Dans l’une des plateformes, chacun devait définir l’ordre du jour. Dès la fin de la première année, nous élaborions un projet et le défendions par un manifeste. Les choix individuels primaient. Certains misaient là-dessus, d’autres s’en dispensaient. Entre la première et la deuxième année, il était possible de changer de plateforme. L’ambiance était très stimulante. Au début, j’étais consciente de n’avoir jamais expérimenté de cette façon. C’était difficile, inquiétant, mais excitant. Surtout, cela m’a aidée à préciser la qualité de mon travail.

Vous considérez-vous comme artiste ou comme designer ?
Question difficile. Je répondrais, encore et toujours, comme designer. Cela tient à mon parcours. J’ai été formée au design. Je le pratique. Il constitue certes une passerelle vers l’art ou la mode. Mais j’aime concevoir des objets et tout ce que je fais appartient à la sphère du design. Pourquoi rangerais-je ma pratique dans la case art ? Lorsque vous vous adressez à quelqu’un d’extérieur à l’univers du design, il est difficile de simplement lui déclarer : « Je suis designer. » Il faut préciser si l’on dessine du mobilier ou de la mode. C’est réducteur selon moi. L’art semble plus libre. Mais dans un esprit militant, je me dirai toujours designer. C’est ce que je ressentais avant même d’être aussi à l’aise avec moi que je le suis aujourd’hui.