Tourisme : Les conseils voyage de l'architecte Bruno Borrione

L’architecte d’intérieur Bruno Borrione a longtemps travaillé avec Philippe Starck. Aujourd'hui, il dessine des hôtels, des maisons, des restaurants dans le monde entier et cumule les heures de vol. Hôtel Eiffel Blomet à Paris, Villa Loiseau des Sens à Saulieu (Bourgogne), espaces publics de l’hôtel Prince de Galles, table gastronomique parisienne d’Anne-Sophie Pic… Du luxe facile à vivre, joyeux, dessiné par celui qui croit toujours au tourisme de niche.

Le meilleur roman de voyage ?
J’ai beaucoup aimé Berezina de Sylvain Tesson, un voyage de Moscou à Paris sur de vieilles motos russes avec tout ce que cela implique de froid, de neige et d’intempéries, sur les traces de la Grande Armée. Il y a deux types de voyages : aller quelque part et parfois se rendre compte que cela vous ennuie, ou aller d’un endroit à un autre, et c’est le trajet qui est important, les gens que l’on rencontre…

Un explorateur ?
J’ai toujours été fasciné par la conquête des pôles et la confrontation avec l’adversité : le froid, le manque de vivres… Le récit de voyage de l’explorateur polaire norvégien Roald Amundsen m’a marqué. Je suis aussi fasciné par les voyages en mer, qui forcent le respect. C’est la dernière frontière. Aujourd’hui, on va en groupe sur le sommet de l’Everest et en croisières aux pôles Nord et Sud. Naviguer seul est l’ultime aventure.

Un film ?
Découvert à 18 ans, Stalker, de Tarkovski, raconte un incroyable périple. Après une catastrophe, des gens sont aimantés par une zone interdite. C’est le voyage de l’autorisé vers l’interdit, le process pour atteindre ce but.

Votre mode de transport favori ?
Vélo, voiture, cheval… J’ai fait 500 kilomètres à cheval en Roumanie pendant une semaine. J’ai trouvé ce rythme intéressant. J’étais parti en Transylvanie, dans une région préservée de la modernisation. On avait l’impression de traverser un environnement du XIXe siècle : pas de routes, des villages plantés au bord des chemins, des plaines et des forêts sans barrières.

Le jardin Majorelle, un havre de calme et de verdure ponctuée de bleu au cœur de Marrakech.
Le jardin Majorelle, un havre de calme et de verdure ponctuée de bleu au cœur de Marrakech. Jonathan Prime

Bruno Borrione, une histoire qui vous est arrivée dans un avion ?
J’allais à Marrakech, avec la jambe dans le plâtre, après un accident, quand un père de famille a fait une crise d’épilepsie à côté de moi. Non seulement je ne pouvais pas l’aider, mais il s’est mordu la langue et il pissait le sang… Heureusement, un médecin présent dans l’avion a réussi à le remettre sur pied.

Votre compagnie aérienne fétiche ?
Je voyage souvent avec Air France. À force de cumuler les heures de vol, je suis devenu très privilégié. Je vais être très snob, mais rien ne vaut l’avion privé. Pas de problème de bagage, de douane, de queue à l’aéroport…

Le plus beau voyage ?
Pour la splendeur des paysages : le Groenland ! Je n’imaginais pas la banquise et les icebergs aussi beaux. Sinon, dès que je pose les pieds sur le sol mexicain, je suis heureux.

Ce qui vous gêne dans le voyage contemporain ?
Je m’interroge sur l’utilité pour les gens d’aller si loin. Pourquoi gagner Cancún ou Miami pour s’enfermer dans un hôtel avec piscine ? Il y en a de très beaux au Pays basque, sur la côte espagnole ou sur la Côte d’Azur… Cela me dépasse. Le très maigre argument de la découverte des civilisations et des cultures est complètement faux. Quand vous allez à South Beach, à Miami, qu’il n’y a personne sur la sublime plage et que les piscines sont bondées, vous vous posez des questions. Alors soyons clairs, on part au bout du monde pour profiter d’une main-d’œuvre moins chère.

L’hôtel des Roches Rouges à Saint-Raphael.
L’hôtel des Roches Rouges à Saint-Raphael. Benoit Linero

Le voyage que vous rêvez de faire ?
J’ai découvert en Écosse une compagnie qui propose des traversées à bord d’anciens voiliers, des trois-mâts, pour des voyages assez longs: du cap Horn au cap de Bonne-Espérance par exemple. On participe à la vie du bateau, avec l’équipage, et l’on sait qu’il va certainement se passer quelque chose.

La ville la plus intéressante à découvrir ?
Je nourris une passion pour Beyrouth et Mexico, où je me sens chez moi. Elles partagent un mélange d’organisation et de bordel généralisé, un grand brassage, de la très bonne cuisine, un climat assez tempéré… Des villes riches architecturalement, où je pourrais vraiment vivre.

À Beyrouth, Aïshti, le projet architectural de l’entrepreneur-collectionneur libanais Tony Salamé, commandé à l’architecte britannique David Adjaye, réunit espaces d’exposition dédiés à l’art et mall commercial.
À Beyrouth, Aïshti, le projet architectural de l’entrepreneur-collectionneur libanais Tony Salamé, commandé à l’architecte britannique David Adjaye, réunit espaces d’exposition dédiés à l’art et mall commercial. Guillaume Ziccarelli / Aïshti Foundation

Où se cache la ville du futur ?
Je l’imagine assez aiffrayante. En Europe, nous avons essayé de préserver des cités à taille humaine. Mais allez à Lagos, au Caire ou à Kinshasa… C’est sur ce modèle peu réjouissant que vont se développer les centres urbains. En Chine, on m’a convié dans des « petites » villes de 15 millions d’habitants…

Une ville dont vous ne vous lasserez jamais ?
Paris. Je ne m’en lasse pas et suis toujours content d’y retourner. J’ai pensé que vivre à Londres serait agréable, mais j’en suis revenu. Entre son histoire, ses spectacles, sa cuisine et ses pistes cyclables, Paris est un bon condensé de la ville idéale.

Votre hôtel favori au bout ou au cœur du monde ?
J’ai été ébloui par l’hôtel Amanpuri, à Phuket, très monumental et noyé dans la végétation, avec une vue incroyable. Et à Mexico, l’hôtel Camino Real, dans le quartier de Polanco, dessiné par Ricardo Legorreta, est assez dingue, ses volumes, son ambiance…

Bruno Borrione, comment doit, selon vous, évoluer l’hôtellerie ?
Les hôtels subissent la concurrence d’Airbnb. Il leur faut développer une identité, qu’ils ne soient plus interchangeables. Il faut accepter de ne pas plaire à tout le monde et se tourner vers des niches et des tribus.

A Paris, au Yooma, les chambres sont conçues pour les familles et les petits groupes.
A Paris, au Yooma, les chambres sont conçues pour les familles et les petits groupes. Yooma

Si vous étiez voyagiste, que proposeriez-vous ?
Les gens aiment partir pour ne rien faire. Il faut donc imaginer des hôtels avec une architecture reposante, des services performants, un personnel disponible mais discret : que ces hôtels soient une aide à l’oisiveté.

Quelles sont vos habitudes de voyage ?
J’ai horreur des dépliants et magazines de ces chaînes qui vous rappellent sans cesse que vous êtes à l’hôtel. Je fourre toujours tout dans un tiroir.

Où et comment vous ressourcez-vous ?
J’aime partir à Quiberon, en Bretagne, m’adonner à quelques activités, dont manger des coquillages. J’aime me balader face au vent du large.

Où sont vos racines ?
Je ne sais pas si j’en ai. Ce n’est pas un concept auquel j’adhère. Bien qu’originaire du nord de l’Italie, je suis aussi à l’aise dans les plaines néerlandaises qu’au bord du lac de Côme. Les seules racines, c’est la nostalgie de ses parents, de ses camarades d’école, de ses petites amies, c’est le souvenir de la jeunesse. Un lieu sans une histoire personnelle n’a pas le même intérêt.

La piscine de l’hôtel Il Sereno au bord du lac de Côme.
La piscine de l’hôtel Il Sereno au bord du lac de Côme. Il Sereno

Bruno Borrione, vous ne partez pas en vacances sans emporter…
J’ai la sale habitude de toujours emporter des dossiers. Certains ont fait cinq fois le tour du monde sans avoir été ouverts! Ils pourraient être titulaires d’une carte Flying Blue! Sinon, je pars toujours avec un carnet de croquis…

Les souvenirs d’enfance en vacances de Bruno Borrione ?
Mon père ayant décidé d’apprendre l’anglais, nous sommes partis en Angleterre et aux États-Unis. Les choses passionnantes découvertes au-delà des frontières m’ont donné le goût du voyage, que j’ai transmis à mes filles.

Vos dernières vacances ?
C’était au ski, mais ça ne m’intéresse pas. On veut rentabiliser son forfait et ses skis. En général, je reviens blessé, crevé… ou les deux ! C’est fini.

Vos prochaines vacances ?
Valence, Quiberon, puis la Catalogne, une région que je ne connais pas.

Votre plage fétiche  ?
Toutes celles de la Riviera Maya au Mexique, entre Tulum et Cancún. Ce sont des kilomètres de plages désertes à la sortie de resorts pleins de gros Américains tout rouges. L’eau y est cristalline, le sable est blanc, c’est paradisiaque. Il y a aussi l’île de Houat, vers Belle-Île, au sud de laquelle s’étire une immense plage de sable.

Farid Chopel, Trouville, 1990 par Dominique Issermann.
Farid Chopel, Trouville, 1990 par Dominique Issermann. Dominique Isserman

La destination qui vous a le plus déçu ?
En France, Deauville et Trouville. À l’étranger : le Maroc. Je suis allé à Fez, Marrakech, Casablanca, Rabat… Il y règne une atmosphère néo-colonialiste qui m’a mis extrêmement mal à l’aise.

Bruno Borrione, votre souvenir le plus fort ?
Avec nos filles, à Baalbek, au Liban, pendant l’occupation syrienne, nous avons traversé la montagne depuis Beyrouth et passé les cols avec un chauffeur. Il y avait de la neige, on était en short. Après avoir croisé des postes de contrôle syriens sur la route, on est arrivés dans la plaine de la Bekaa, puis à Baalbek, un endroit époustouflant. La ville était vide, tenue par le Hezbollah. On est entrés dans un restaurant, les gens nous regardaient… Nous avons visité tous les sites archéologiques. Au final, c’était moins désagréable que d’aller à Fez.

Les précautions à prendre à l’étranger ?
Ne pas être habillé comme un touriste. Je suis comme les Dupont et Dupond dans Tintin, j’aime me déguiser avec le costume du pays pour passer inaperçu. J’ai lu dans une interview que pour circuler dans les quartiers populaires sans problème, il fallait simplement revêtir un T-shirt de Bob Marley…

Le voyage est-il synonyme d’ouverture d’esprit ?
Avec l’âge, je me le demande… C’est une ouverture d’esprit si on l’a décidé. C’est un peu vain d’imaginer que l’on peut découvrir une culture en une semaine. Il est illusoire de croire qu’on peut y entrer quand on n’en voit que le côté plaisant…

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