Wolfgang Träger Courtesy: Manifesta 12

Tourisme : A Palerme, l’art contemporain cultive son jardin

Après Zurich en 2016 et Marseille en 2020, la biennale d’art contemporain Manifesta s’enracine tout l’été, et même au-delà, dans la capitale de Sicile, dont elle embrasse l’histoire et la géographie chahutées.

Quand on pense « art contemporain », Palerme n’est pas la première ville qui nous vient à l’esprit. Ce que la capitale sicilienne évoque plutôt ? Un charme déglingué tout en sombres ruelles et demeures aristocrates qui s’effondrent. Un parfum tenace de mafia, fléau que les autorités locales ont pourtant aujourd’hui quasi-éradiqué. Un esprit de tolérance, enfin, la ville accueillant avec une certaine hospitalité – bien rare dans l’Italie de 2018 – les migrants qui traversent la Méditerranée et s’échouent sur ses côtes.

Dans le centre-ville de Palerme, œuvre de Matilde Cassani.
Dans le centre-ville de Palerme, œuvre de Matilde Cassani. Wolfgang Träger Courtesy: Manifesta 12

Mais justement, c’est pour toutes ces raisons que Manifesta, la biennale d’art itinérante qui sillonne l’Europe depuis 1996, va poser ici ses valises, dès ce week-end, à l’occasion de sa 12e édition. Comme l’avance Hedwig Fijen, fondatrice néerlandaise de la manifestation, « Palerme incarne une Europe qui se métamorphose et Manifesta compte bien prendre part à ces changements. » La biennale s’est d’ailleurs choisie un intitulé aussi poétique que politique : le Jardin planétaire. Cultiver la coexistence – qu’elle a emprunté au paysagiste et philosophe français Gilles Clément, l’occasion de semer des graines d’enchantement sur toute la ville, et jusque dans ses marges les plus difficiles – notamment dans le quartier de HLM de la Zona Espansione Nord, qui n’a de ZEN que l’acronyme, où Clément a crée avec les habitants, comme pour qu’ils reconquièrent leur propre géographie, un espace vert utopique.

La biennale Manifesta s’est fixé comme thème Le Jardin planétaire.
La biennale Manifesta s’est fixé comme thème Le Jardin planétaire. Wolfgang Träger Courtesy: Manifesta 12

Jardin-monde par excellence, on démarrera notre déambulation à l’Orto Botanico municipal qui, avec ses méga-ficus, ses marres où paressent les tortues et ses serres à cactus ébréchées, ravit mélancoliquement le promeneur. On y croisera les herbiers bizarres que confectionne l’artiste colombien Alberto Baraya tandis que l’Américain Michael Wang, expert en drôles de cultures lui aussi, interviendra sur les bassins du parc ainsi que sur un énorme gazomètre, à quelques pas de là, qui rouille depuis des lustres. Encore plus étrange et mastodonte, on passera une tête à la Casa del Mutilato, monument aux mutilés de guerre qui n’ouvre presque jamais ses portes : l’Espagnole Cristina Lucas a imaginé là, bien à propos, un projet vidéo autour des victimes civiles des conflits armés qui résonnera gravement avec l’architecture années 30 du lieu, mussolinienne au possible.

Œuvre de James Bridle.
Œuvre de James Bridle. Wolfgang Träger Courtesy: Manifesta 12

Les beautés décaties du XIXe vous chavirent davantage ? Direction, alors, les palazzi Butera et Forcella de Seta, presque voisins, qui se dressent somptueusement face à la mer. Le premier, racheté en 2015 par les Milanais Massimo et Francesca Valsecchi, devrait abriter sous peu la riche collection d’art du couple ; on nous promet des Warhol et des Richter à tomber ! En attendant, Manifesta en investit les stucs et les carrelages fastueux avec, entre autres, une installation du collectif californien Fallen Fruit et une vidéo du Suisse Uriel Orlow en forme d’odes florales et végétales.

Installation de Leone Contini.
Installation de Leone Contini. Wolfgang Träger Courtesy: Manifesta 12

Le second, petite pépite orientalisante avec mosaïques et appels du pied à l’Alhambra, examinera la question à travers les travaux subtilement coup-de-poing des Français Kader Attia et du Turc Erkan Özgen, des rapports Nord-Sud et de l’état du monde méditerranéen. La Kalsa, le quartier qui jouxte les deux palais, concentre d’ailleurs en elle toute l’histoire de Mare Nostrum. Son nom lui vient de cette époque où la Sicile était arabe. « La Pieuvre » et les crises en tout genre l’ont, aux XXe et XXIe siècles, bien balafrée. Elle revit aujourd’hui, plus sereinement, entre marchés immémoriaux, épiceries africaines, temples tamouls et tentatives de ripolinage.

David Burns et Austin Young (Fallen Fruit).
David Burns et Austin Young (Fallen Fruit). Wolfgang Träger Courtesy: Manifesta 12

C’est dans ce coin de Palerme, vivant au possible, que Manifesta a le plus œuvré : le QG de la biennale, sorte de joyeuse agora avec café, bibliothèque et médiateurs, s’est niché dans l’ancien Teatro Garibaldi, croulant jusqu’alors, qu’on a revampé pour l’occasion ; à quelques encablures de là, Santa Maria dello Spasimo, une église du XVIe dont le toit n’a jamais été posé, hébergera, nez au vent, un projet du duo londonien Cooking Sections ; tandis que dans la très secrète chapelle de San Euno e San Giuliano, flanquée d’une crypte-bijou, la performeuse italienne Marinella Senatore documentera, photos et témoignages à l’appui, la procession populaire qu’elle va orchestrer, samedi 16 juin, dans les rues de la ville pour l’inauguration de Manifesta. On dit que « Palerme », dérivé du grec, signifierait « refuge idéal » ? Les créateurs de tout bord, cet été, la prennent assurément au mot.

Préparatifs pour la performance de Marinella Senatore à la chapelle de San Euno e San Giuliano.
Préparatifs pour la performance de Marinella Senatore à la chapelle de San Euno e San Giuliano. Wolfgang Träger Courtesy: Manifesta 12

Manifesta 12. The Planetary Garden. Du 16 juin au 4 novembre. M12.manifesta.org

Installation de Fallen Fruit.
Installation de Fallen Fruit. Wolfgang Träger Courtesy: Manifesta 12