Exposition : Gio Ponti à l’honneur du Musée des arts décoratifs

Architecture, design, mobilier, luminaires, verre, orfèvrerie ou céramique... Le musée des Arts décoratifs parisien (MAD Paris) consacre une exposition à l'archi-designer Gio Ponti (1891-1979). Une rétrospective sur six décennies qui rend compte de la singularité du maître italien, aussi pluridisciplinaire que prolifique.

Gio Ponti, auquel le musée des Arts décoratifs (MAD) consacre l’exposition « Tutto Ponti, Gio Ponti archi-designer », est une véritable icône. De l’architecture et du design italien, en général, et de Milan, en particulier. Le 1er août 1961, dans l’émission « Cinq colonnes à la une », le maestro expliquait aux Français : « Les villes comme Paris, Rome ou Naples ont des collines ou la mer ; Dieu a contribué à leur beauté. Mais pour nous à Milan, Dieu n’a rien fait. Alors, c’est à nous d’en faire une belle ville. C’est une affaire de création. » Gio Ponti est d’ailleurs intimement lié à la France. Sa nièce, Carla Borletti, a épousé Tony Bouilhet, héritier de la famille Christofle. C’est elle qui invitera aussi bien Paul Éluard que Victor Vasarely à créer pour la maison de haute orfèvrerie, tout en mettant au point l’idée des boutiques-pavillons.

Buffet D.655.1 et fauteuil D.153.1 de Gio Ponti (Molteni&C).
Buffet D.655.1 et fauteuil D.153.1 de Gio Ponti (Molteni&C). DR

En 2008, lors de l’exposition milanaise « Reflets d’amitié » retraçant sa collaboration avec Christofle, on percevait une grande sensibilité au travers de sa correspondance avec Tony Bouilhet. Certains visiteurs ont pu réaliser combien Ponti, né en 1891, était moderne. En témoigne la quinzaine de créations prêtées par la maison Christofle au MAD ainsi que des dessins d’archives. Ce sont donc quelque soixante ans de créations de Gio Ponti qui investissent la nef du musée. Ses œuvres sont classées en objet, mobilier, period rooms et reconstitutions de projets. Dans les galeries, côté jardin, on découvre ses collaborations pour le design, la porcelaine, l’orfèvrerie ou les luminaires. Côté rue de Rivoli, on retrouve encore six autres ambiances de projets. Le studio Jean-Michel Wilmotte & Associés s’est chargé de la scénographie a ici collaboré avec le graphiste italien Italo Lupi. Lors de la remise de son épée d’académicien en 2017, Jean-Michel Wilmotte avait évoqué dans son discours les architectes de sa vie, Carlo Scarpa, Luis Barragán, Tadao Ando et… Gio Ponti !

Théière Aero dessinée pour Cristofle en 1957.
Théière Aero dessinée pour Cristofle en 1957. DR

Après une odyssée de 500 pièces exposées, dont certaines pour la première fois, c’est un personnage hors normes que le visiteur découvre. De quoi s’exclamer, sans doute : « Ce Ponti, il a tout fait ! » En 1921, il ouvre son premier cabinet. En 1923, il mène la direction artistique de la manufacture du porcelainier Richard Ginori. Certaines pièces sont du pur graphisme devenu vaisselle ! En 1928, Ponti fonde aussi bien la Biennale des arts décoratifs de Monza que la revue Domus, bible italienne de l’architecture et du design. Il est d’ailleurs aussi émouvant qu’insolite de voir, chaque année, à l’université de Padoue, les jeunes diplômés en costume de cérémonie célébrant la fin d’année dans le décor du Palazzo del Bo, orné de monumentales fresques des années 40 signées Gio Ponti. Une belle continuité pour une université fondée en 1493 !

Service de table (1967, Franco Pozzi).
Service de table (1967, Franco Pozzi). fonds marco arosio

Dès l’après-guerre, Ponti milite pour l’artisanat dans l’industrie du meuble, ce qui aujourd’hui semble novateur. En 1951, le savoir-faire des artisans du village de Chiavari est à l’origine de la chaise culte Leggera, réalisée pour Cassina. Six ans plus tard, sa version ultra-light Superleggera fera un carton… et elle est toujours prisée aujourd’hui ! Le maestro construit dans le monde entier, aussi bien la villa Planchart à Caracas (1956), que la tour Pirelli (1956-1961), à Milan.

Chaises Superleggera de Gio Ponti (1957, Cassina).
Chaises Superleggera de Gio Ponti (1957, Cassina). Cassina

Chez Molteni&C, présent dans l’exposition avec certaines des quatorze rééditions du maestro, une simple étagère peut surprendre tant le jeu de plans et de surfaces est subtil. Le fauteuil de la villa Planchart est une conque de confort, carrément irrésistible en velours. Parmi les rééditions de Ponti, on trouve aussi les carreaux de céramique bleu et blanc dessinés pour l’hôtel Parco dei Principi (1962) à Sorrente.

Le lobby de l’hôtel Parco dei Principi (1962), à Sorrente.
Le lobby de l’hôtel Parco dei Principi (1962), à Sorrente. DR

Le legs de Ponti suscite encore l’émoi quand la presse annonce la démolition de la villa réalisée pour Shafi Nemazee, en 1957, à Niavaran, sur les hauteurs de Téhéran0. Sorti du patrimoine national iranien avec l’accord de son dernier propriétaire, le bâtiment a dû faire place à un projet d’hôtel. La cocathédrale de Tarente (1970, en Italie), une dentelle de béton, et le musée d’Art de Denver (1974), un imposant jeu de volumes en pierre, sont, eux, toujours debout. Ce qui n’est plus le cas de son bâtiment du ministère du Plan, à Bagdad, détruit lors de l’invasion américaine en Irak… On repense à la phrase de l’architecte Ernesto Nathan Rogers, évoquant le domaine étendu de la création, de la cuillère au gratte-ciel. Elle s’applique on ne peut mieux à la démesure créative de Gio Ponti qui affirmait, lui : « Nous représentons le passé mais nous avons l’intuition de l’avenir. » C’est beau, non ?

La cocathédrale Gran Madre de Dio de Tarente (1970), dans les Pouilles.
La cocathédrale Gran Madre de Dio de Tarente (1970), dans les Pouilles. Lucas Massari