Rencontre avec le collectif suédois Note Design Studio

Les sept samouraïs de Note Design Studio ont réussi à se faire un nom en un seul tabouret : Tembo (La Chance). Depuis Stockholm, l’équipe phosphore pour d’autres labels européens, de Camper à Sancal. Mais leur univers très graphique est aussi à l’aise avec les « vrais » produits. Pour Cristiano Pigazzini, le stratège maison, et Sanna Wahlin, l’une des trois architectes d’intérieur du collectif, l’esprit des sept est dans chaque projet.

D’où vient Note design Studio ?

Le studio est né en 2008. Chacun des sept membres venait d’horizons différents. Notre point commun, c’était de vouloir travailler ensemble. Au départ, Note faisait des projets intéressants mais n’avait pas encore d’identité.

Justement, comment Note s’est-il forgé son style ?
Dans une réunion du lundi, au moment où je suis arrivée, chacun s’est mis à réfléchir à qui nous étions vraiment. L’équipe ne voulait plus qu’il y ait de conflit d’intérêts entre projets du studio et projets personnels. Elle avait en­vie de chantiers stimulant davantage notre travail quotidien. De cette réflexion a émergé l’idée de concevoir un projet pour nous, sans aucune contrainte.

Le studio se sentait-il frustré ?
Non, nous avions des clients intéressants mais nous voulions voir jusqu’où nous pouvions aller. C’est de là qu’est né l’actuel Note Design Studio. Nous nous sommes rapprochés de ce que nous voulions vraiment faire. Et peut-être aussi de qui nous souhaitions être… Un des membres du studio est d’ailleurs parti car il ne se sentait pas à l’aise avec tout ça.

Vos études vous avaient-elles préparés à l’introspection ?
Nous avons tous étudié dans différents pays, régions et écoles. Moi, j’ai fini mes études à Copenhague dans un environnement qui privilégiait le concept. Au point que plus tard, c’était un défi de travailler sur des choses con­crètes. J’étais juste habituée à transformer mes idées en maquettes.

Quel fut le projet fondateur de Note Design Studio ?
Le Marginal Project n°1 est né de cette fameu­se réunion. Il en existe deux volets pour lesquels nous avons fait des tonnes de croquis complètement fous. Il y avait du mobilier dont personne ne savait à quoi il servait, mais c’était notre processus inter­ne de mutation. Ces dessins nous ont fait sortir de notre chrysalide. Nous nous les som­mes présentés pendant des semaines et nous les avons commen­tés sans complaisan­ce. Cela a instauré en­tre nous une familiarité digne d’une troupe de théâtre. Sans lui, nous ne serions pas ce que nous sommes aujourd’hui.

En France, votre tabouret Tembo (La Chance) a contribué à votre notoriété…
En effet ! Il sort justement du Marginal Project n°1. Un jour, nous avons reçu un mail de Jean-Baptiste (Souletie, fondateur de La Chan­ce avec Louise Bréguet, NDLR). C’était au début de leur label. Qu’ils veuillent produire l’une des pièces du projet nous laissait sceptiques… On s’est dit : « Se rendent-ils compte de l’esprit dans lequel on l’a dessi­né ? » Nous pensions que les gens trouveraient ça idiot. Mais l’expérience a été fantastique. Ils n’ont pas eu peur et La Chance s’est vite forgé une identité. Nous avons récemment dessiné pour eux la table Zorro. Quant à notre relation, elle est toujours au beau fixe !

Connaissez-vous la France, où vous êtes désormais reconnus ?
J’ai vécu deux ans à Paris il y a quelques années. C’était formidable. Je travaillais dans un hôtel pendant que mon boyfriend était mannequin ; nous vivions dans 18 m2 à Saint-Germain. J’ai vraiment aimé Paris. Aujour­d’hui, je suis parfois tentée de renouveler l’expérience.

Les « Tonella » sont une relecture des fauteuils français Marie-Antoinette (Sancal, 2015).
Les « Tonella » sont une relecture des fauteuils français Marie-Antoinette (Sancal, 2015). DR

 

Diaporama : Zoom sur les créations de Note Design Studio

Comment fait-on du design quand on est sept ?

Je crois que notre force, c’est justement ça. Très soudés, nous tenons à cette idée de travailler en équipe, même si nous faisons des choses différentes. Alexis (Holmqvist), notre directeur, est designer graphique. Cristiano (Pigazzini), à l’origine de Note, en est la boussole stratégique. Johannes (Carlström), Daniel (Hecksher) et moi sommes architectes d’intérieur. Charlotte (Ackemar) et Kristoffer (Fagerström) s’occupent des produits, qui sont parfois co-signés Boaz Katz, designer israélien en stage. Nous établissons des scénarii ensemble et nous les développons.

Cela ne fait-il pas beaucoup de monde derrière chaque décision ?
Non, nous avons l’habitude de nous réunir et de nous lancer des idées à la figure. Jeter un coup d’œil sur l’écran de l’autre, c’est quelque chose de naturel ici. On est plus une famille que des collègues de travail.

N’y aurait-il que des avantages à travailler en groupe ?
Le tout, c’est de communiquer. Facile pour nous vu que nous sommes souvent ensemble. Mais paradoxalement, c’est aussi un ris­que car nous pensons savoir ce que les au­tres ont en tête, alors qu’il faut toujours se parler. On fait donc attention. Nous veillons aussi à travailler avec tout stagiaire sur le long terme. Cela apporte du sang frais.

Êtes-vous toujours associés à chacune des étapes de vos projets ?
Nous n’en sommes pas encore à être présents à l’étranger pour vérifier les choses car cela ne fait pas si longtemps que nous travaillons avec des labels internationaux. Dans un produit, il ne faut pas oublier qu’il y aussi tout le travail de l’éditeur. Pour la première fois, nous travaillons en Chine. Nous ne pouvons pas vraiment savoir dans le détail quel résultat donnera cette collaboration, c’est plus difficile à distance. Face à la diversité des éditeurs, je dirais que nous apprenons…

« Le monde du design est encore un club de garçons. » Que pensez-vous de cette citation de la designer slovène Nika Zupanc ?
C’est très intéressant parce que quand je visite une foire de design, j’ai l’impression de n’y voir que des hommes. Au début, chez No­te, j’étais la seule fille. Puis Charlotte est arrivée. Nous parlons souvent de ça ensemble. Si nous nous développons, il faudrait plus de femmes, pour créer un équilibre.

Les produits de Note échappent aux clichés « douceur féminine » vs. « rigueur masculine »…
Exactement. Et je me demande si, pour réussir comme designers, les hommes sont réellement assez combatifs. Je ne sais pas non plus si une femme trouve a priori plus sécurisant d’occuper un poste d’architecte d’intérieur dans un studio. Comme si elle craignait forcément de fonder sa propre structure… En tout cas, il existe des modèles très inspirants, de Patricia Urquiola à Hella Jongerius, que j’adore. Et ceci dit, en Suède, dans le monde du design, il y a beaucoup de femmes !

Avec « Dalslandstugan 2.0. », concours où il fallait inventer la maison qui inciterait les Suédois à construire en région rurale, Note a étendu sa sphère d’influence…
Le Dalsland est une région du nord de la Suède d’où Johannes est originaire. C’est lui qui a milité pour que l’on participe à ce con­cours qui a reçu deux cents candidatures. Il fallait construire la maison près d’un lac, nom­breux dans cette région. Pour ne pas nuire à la beauté des lieux, la nôtre est surélevée. Elle est bleue, à l’opposé du rouge traditionnel des maisons de campagne suédoises. À la fin, nous étions ravis… quoique nous-mêmes un peu intrigués !

 

Projet Dalslandstugan 2.0.
Projet Dalslandstugan 2.0. DR

Quand vous collaborez avec les chefs d’Aveqia au projet culinaire « Domestic Science », n’est-ce pas du design mis à toutes les sauces ?
Qui peut tracer une frontière entre ce qui est du design et ce qui n’en est pas ? Pourquoi exclure certaines choses du champ de la discipline ? Étudiante en architecture d’intérieur, je voulais justement créer les conditions d’une expérience totale. Créer un envi­ronnement qui pourrait conditionner ce qu’on ressent. Le design, ce n’est pas que du mobilier…

Pourquoi les designers suédois parlent-ils toujours de leur « petit pays » alors qu’il compte tant dans l’histoire du design ?
Dire « Nous n’avons rien de spécial », alors ça, c’est très suédois ! N’être qu’un au milieu de la foule et rester surtout tous égaux, c’est mê­me typiquement suédois. Quant au côté dur à la tâche, ça vient peut-être du fait que nous sommes un pays aux hivers rigoureux.

Quand Note conçoit une lampe cherchez-vous à faire évoluer cette typologie ?
Nous avons dessiné plusieurs lampes. Au dé­but, c’était en rencontrant de très bons éditeurs, comme Orsjö Belysning pour lequel mes parents et grands-parents avaient déjà travaillé et qui m’était donc personnellement familier. Avec le Belge Per/Use, l’histoire est différente. Le point de départ, c’est un de nos pro­totypes repéré dans une exposition sur le verre. Com­me ce n’était pas un luminaire, nous avons été flattés d’être contactés pour en faire une lam­pe. Son verre soufflé, coloré en dégradé, a d’ail­leurs été compliqué à produire.

Verra-t-on un jour du design partout ?
Difficile à dire… Beaucoup de Scandinaves ont le design inscrit dans leur ADN. Quand je vivais au Danemark, j’ai même été surprise de constater à quel point beaucoup de gens avaient des classiques du design chez eux.

Quand on vous demande ce que vous faites, que répondez-vous ?
Je dis que je suis architecte d’intérieur. Et souvent, les gens répondent : « Oh, c’est ce que j’ai toujours rêvé de faire ! »

Cela veut dire qu’en Suède, tout le monde connaît la raison d’être de Note Design ?
Hum… Mouais, je ne sais pas si les gens savent en quoi consiste réellement mon travail. En Suède, nous avons beaucoup de program­mes télé animés par des « décorateurs » et c’est ça que les gens croient que je fais. Ils n’imaginent pas qu’on place les murs et qu’on organise avant tout l’espace.

Les créations de Note Design parlent-elle aux gens facilement ?
Qu’il s’agisse d’architecture intérieure, de design graphique ou de produits, je pense en tout cas que ce que nous faisons doit être lisible. Il est important d’informer le public sur ce qu’il achète, a fortiori dans un monde aus­si saturé d’objets. Il faut inciter les gens à conserver les objets longtemps. Et puis tout le travail qu’on met dans chaque projet, cela vaut la peine de leur en parler. Les projets, les objets, tout ça, pour Note, ce sont autant d’histoires humaines passionnantes.

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