Walter Knoll, 3 assises pour 3 époques

L’éditeur allemand Walter Knoll fête cette année 150 ans d’excellence. En mettant l’esthétique de ses sièges au service du fonctionnel, cette entreprise autrefois spécialisée dans la maroquinerie remplit pleinement sa fonction d’éditeur de design. Passage en revue de trois assises en trois époques.

 

Le fauteuil « 369 », de l’équipe Walter Knoll.
Le fauteuil « 369 », de l’équipe Walter Knoll. DR

Fauteuil 369 (1956)

En Allemagne, onze ans après la guerre, les ménages achètent encore du mobilier dans un esprit d’équipement. La plupart « arrangent » leurs intérieurs plus qu’ils ne le décorent… Même dans le pays qui a vu naître le Bauhaus, le mot design ne s’entend guère. Ce qui n’est pas le cas aux États-Unis où, dès 1945, un certain optimisme lié à l’ouverture de marchés à conquérir fait rimer design avec business.

Souvent formés à l’architecture, les anonymes dessinateurs de Walter Knoll – ceux-là même qui ont défini les formes curvilignes du fauteuil 369 – suivaient visiblement ce qui se faisait outre-Atlantique. Là-bas, designers et architectes qui avaient fui l’Europe en rêvant de l’atelier de Frank Lloyd Wright formaient une sorte d’élite du style. Les noms de Marcel Breuer, Walter Gropius, Ludwig Mies van der Rohe ou Ferdinand Kramer commençaient à briller et ne pouvaient qu’attirer l’attention de leurs ex-compatriotes allemands. Du coup, ce qui se tramait du côté de la Cranbrook Academy de Chicago la faisait passer pour une sorte de nouveau Bauhaus américain.

L’autre influence dominante était scandinave. La renommée d’un Arne Jacobsen ou d’un Finn Juhl s’étendait déjà sur l’Europe et jusqu’aux États-Unis par le biais d’expositions. Leur maîtrise des formes sculpturales était la meilleure des publicités. La pointe des crayons des stylistes se mit donc à ne dessiner que des courbes sensuelles. En éditeur éclairé, Walter Knoll misa d’emblée sur l’avant-garde (son fils Hans partira aux États-Unis en 1938 où il rencontrera Florence avec qui il fondera Knoll International). C’est drôle, il y a déjà du Pierre Paulin dans la corolle de la chaise 369. On y retrouve la même indifférence pour les effets de manche. La qualité du travail va de soi dans cette maison fondée à Stuttgart en 1865 et initialement spécialisée dans le travail du cuir, mais qui a basculé dans le mobilier dès 1900. Quand ce fauteuil 369 fut présenté à la Foire de Cologne, il fut reçu aussi bien comme un siège pour meubler que comme un bel objet de décoration. N’est-ce pas le cas de tous les sièges élégants ?

 

Le fauteuil « FK86 », de Preben Fabricius et Jorgen Kastholm.
Le fauteuil « FK86 », de Preben Fabricius et Jorgen Kastholm. DR

Fauteuil FK86 (1969)

Si vous posez un siège de Walter Knoll contre un mur blanc, ses contours se détachent immanquablement du mur de façon graphique. Ce n’est certes pas un argument promotionnel classique. Pourtant, tout le monde peut facilement le ressentir. Les lignes du fauteuil FK en sont la preuve. Il est si « graphique », comme disent les stylistes, qu’il donne facilement à qui s’assied dedans un air d’assurance.

On ne sait pas si c’est sur ce critère que les décorateurs du film Le Diable s’habille en Prada l’ont choisi comme trône directorial de la papesse de la mode interprétée par Meryl Streep. Primées dès sa sortie, ses lignes procèdent d’une telle économie de formes qu’elles n’ont pas pris une ride. Sa version cuir accentue d’ailleurs son potentiel de pièce iconique. Là encore, c’est la tradition fonctionnaliste allemande qui interfère avec le registre de formes des designers scandinaves. On pense à la Oxford chair d’Arne Jacobsen, plus tardive.

La FK est l’œuvre de deux architectes d’intérieur danois, Preben Fabricius et Jorgen Kastholm, qui se sont lancés en 1961 dans la conception de mobilier. Huit ans après leurs débuts, ils ont voulu produire le modèle parfait, celui qui traverse le temps. « Formes et esthétique doivent aller main dans la main », proclame Fabricius lors de la sortie. Avantage pour le duo de créateurs, en 1969, le monde du design n’avait d’yeux que pour le Danemark et l’Italie. C’était le moment pour eux de se distinguer en optimisant matière, formes et ergonomie. Le fauteuil FK 86 existe d’ailleurs en deux tailles, haute et basse, mais toujours avec ses accoudoirs en ailes de cygne.

 

Le fauteuil « Berlin », de Meinhard Von Gerkan.
Le fauteuil « Berlin », de Meinhard Von Gerkan. DR

Fauteuil Berlin (1975)

Ce fauteuil dessiné par l’architecte Meinhard Von Gerkan a inspiré depuis bon nombre de créateurs. Son usage du métal, dessinant d’un seul tracé accotoirs et piétement, rappelle les grandes heures du fonctionnalisme allemand. Or, au milieu des seventies, comme tout le monde, Von Gerkan suit d’abord ce qui se fait en Scandinavie. D’où la chaleur qui se dégage de ce modèle.

Le Berlin adopte le pur dépouillement chic du Style International comme une démonstration de vertu. En Allemagne, Meinhard von Gerkan est aussi con­nu que Jean Nouvel en France (un stade en Chine, des aéroports…). Il est souvent cité pour avoir dit : « Du plus simple, tirer le meilleur. » Rien que dans son agence de Hambourg, on dénombre 130 salariés. Dans son nouvel appartement hambourgeois, sur son balcon donnant sur l’Elbe, on peut voir deux chaises Berlin.

Quarante ans après sa sortie, l’architecte-designer l’utilise toujours chez lui. Il l’avait dessiné pour le salon VIP de la Lufthansa à l’aéroport Tegel de Berlin. Ce fut le début d’une collaboration au long cours avec Walter Knoll. Pour l’architecte, l’élaboration d’une pièce de mobilier qui devient un classique au fil du temps lui apporte la même satisfaction que la pérennité d’un bâtiment comme la gare centrale qu’il a dessinée à Berlin. Von Gerkan ajoute que ce qui est encore plus jouissif, c’est quand ce que vous avez créé vous apporte, longtemps après, des satisfactions nouvelles. Résultat, on le retrouve toujours coté dans des ventes aux enchères.

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