Le château design d'Alain Berteau

Cofondateur d’Objekten Systems, le designer belge Alain Berteau s’est installé à Bruxelles il y a quatre ans, dans un ancien château d’eau XIXe en plein bois de la Cambre. C’est là qu’il met à l’épreuve du temps les créations qui figurent au catalogue de sa marque, nouvelle bible du design intelligent et versatile.

Rendez-vous est pris à Bruxelles, direction le bois de la Cambre. Le chauffeur du taxi est perplexe. Et pour cause. La course s’arrête en pleine forêt, au pied de deux châteaux d’eau. Le plus grand, construit en 1880, l’un des plus anciens de Belgique, n’a jamais fonctionné. À l’intérieur, la spirale ouvragée de l’escalier central incarne l’idée même d’art industriel. Il sert l’été d’espace d’exposition. Dans ce décor théâtral, le designer et photographe Julien Renault, collaborateur d’Alain Berteau, a shooté « Surfaces », sa collection de panneaux acoustiques pour ABV. Car si l’époque est en quête de sens, le design aussi, entre interrogations et clichés à dissoudre. En tête, le fameux « design = luxe ». Alain Berteau prône, lui, les vertus d’un « design milieu de gamme ». Ce qui ne veut pas dire moche ! Après Terence Woodgate et Sylvain Willenz, ce sont de jeunes designers français, Marc Venot et Antoine Lesur, qui vont prochainement travailler avec Berteau. « Je serais un très mauvais directeur artistique si je dessinais tout. Un bon DA met son ego de côté pour enrichir et conduire une marque », analyse-t-il. Sa référence, c’est le Japonais Kenya Hara, directeur de création chez Muji. La signature des designers que ce dernier sollicite n’apparaît jamais sur les produits : « C’est bien, parce que je trouve le star-system des designers un peu inepte. Il faut se calmer, nous ne dessinons que des chaises ! » Tout en devisant, le designer dévoile un prototype d’assise. Son système de pliage permet de l’ouvrir et de la fermer facilement, en un seul geste. Bluffant ! Cette sensation de design imparable s’accentue encore dans le studio sis au rez-de-chaussée du deuxième donjon de quinze mètres de haut. Rien de froid ici, la laine feutrée des sofas et le bois blond de l’armoire réchauffent l’atmosphère. Pas de moodboard punaisé au mur. « Ma pratique du design est beaucoup plus sauvage que ça. Il n’y a pas de place pour l’auto-contemplation ! », plaide le créateur. En évoquant cet « aristo-loft », une seule pièce haute, grande et ronde, Alain Berteau parle de « ses bureaux ». C’est vrai qu’à lui seul, le mobilier présent, signé Berteau ou pas, divise l’espace en plusieurs zones. À 44 ans, Alain Berteau ne rêve pas d’un atelier géant peuplé d’une armée de disciples. Ses ambitions sont centrées sur le design élégant et pertinent. Il en dessine partout, sauf sur son écran d’ordinateur. « L’idée était d’avoir un repaire-laboratoire-salon-showroom pour créer au calme », explique-t-il. Auparavant, il phosphorait au rez-de-chaussée de la maison 1830 qu’il habitait à Ixelles. Dans ce cadre très agréable, le soir, ses filles descendaient le chercher en quelque sorte à la sortie du travail. « Je suis arrivé ici sans aucun mérite, parce que j’ai l’énorme chance d’avoir une épouse qui travaille dans l’immobilier », poursuit le chanceux. L’ambiance un rien monacale lui fait penser à l’Hotel im Wasserturm à Cologne, lui-même aménagé dans un château d’eau par Andrée Putman. Il révère aussi le studio barcelonais de l’architecte Ricardo Bofill, dédale phagocytant une ancienne fabrique de ciment. Car Alain Berteau est un designer de 2016 qui ne fait pas table rase du passé. Étudiant, il hésitait entre sculpture, design et architecture. Son père, polytechnicien dans l’armée, ne croyait qu’aux « vrais métiers ». Pas matheux, le jeune Berteau dessinait bien. Alors l’architecture s’est d’abord imposée. Pourtant créer des objets lui est venu à l’idée très tôt. « À 8 ans, j’avais inventé ma marque de petites voitures, toujours dessinées de profil », se souvient-il. Adolescent, voyageur et chineur, il dissèque les chaises. Apprenti architecte, il sèche les cours pour apprendre le métier en agence. Cependant, la lenteur de la discipline le pousse à dépenser son énergie dans des projets de plus petite échelle. Innover côté ergonomie, répondre aux nouveaux comportements, voilà ce qui le stimule depuis toujours. Il utilise ses chaises Tab (Bulo), avec dossier plié pour se tenir de côté, depuis douze ans. Elles sont devenues un classique du design belge, au-dessus desquelles des appliques rondes, datant de l’installation de la tour, font comme des yeux aux murs. Lui les préférerait opalines. Ici, au fil des heures, les jeux de lumière peuvent être très agréables. Parfois, le soleil inonde brusquement la table blanche Outspot (Objekten) : de l’outdoor parfait pour une réunion. « En été, on voit des petits écureuils qui courent partout, ajoute le designer. Ici, sortir cinq minutes permet de respirer l’air de la forêt. » Un paradis qui n’empêche pas le designer éco-friendly de nous souffler comme un addict : « Les usines, les machines, j’adore ça ! »

Design intelligent et accessible

Objekten prône une production écologique et située en Europe. Ce côté design intelligent s’affirme dans la plus-value qu’apporte l’usage de ses produits, certains versatiles. Ce sont des objets simples mais qui repoussent les limites de la fonction, et non multifonctions. Une démarche qui suggère la vie réelle, sans pose. Quoi de plus low-tech que ces poufs Cover (Objekten) ? Recouvert de tissu, chacun était d’abord sa propre caisse de livraison. Rien ne se perd. En ce qui concerne la housse à poches du coussin Kangaroo, elle protège les télécommandes et les magazines des crocs canins. Tout près, ses collaborateurs, Aurélie et Gauthier, travaillent assis à la table Element en chêne massif de Terence Woodgate. Sans vis, son génie se cache dans l’invisible système de fixation de ses pieds. Plus loin, se dresse l’armoire Cupboard (Objekten) à monter sans outil, comme un jeu de Lego. « Ce monolithe de bois, selon Berteau, n’est que découpe. Ses reliefs ne sont pas des motifs. » Il conclut : « Il y a une vertu fondamentale au fait qu’un produit soit fait dans un seul matériau, dans un seul endroit, par une seule machine ou par une seule personne. » Bien que dit dans un contexte de laminage du petit commerce par de grandes enseignes, et alors que l’artisanat local est dépassé par Internet et les nouveaux comportements d’achat, Alain Berteau reste aussi optimiste qu’ironique : « Je n’ai aucun mépris pour les consommateurs. Ils peuvent avoir 30 ans et ne pas avoir les moyens d’acheter de la top qualité. » L’époque serait donc plus que jamais propice à un milieu de gamme intelligent et beau.

 

Retrouvez le travail d’Alain Berteau in situ dans le diaporama ci-dessous :

Château Berteau

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