A Capri, rendez-vous dans la villa du Mépris

Le 69e Festival de Cannes qui ouvrira ses portes ce mercredi 11 mai a choisi de mettre à l'affiche le Mépris de Jean-Luc Godard. L'occasion pour nous de revenir sur un des acteurs principaux de ce film inoubliable, la spectaculaire villa de Curzio Malaparte construite à Capri, face à la Méditerranée.

Brigitte Bardot nue sur un toit-terrasse, un roman policier, ouvert, négligemment posé sur la fesse droite. « Pour­quoi est-ce que tu ne m’aimes plus ? », lui lance Piccoli. « C’est la vie », répond-elle. « Pourquoi est-ce que tu me méprises ? », insiste-t-il. « Ça, je ne te le dirai jamais. » Elle descend les marches, il la suit. Le chemin est escarpé, la vue vertigineuse. C’est la dernière fois qu’ils se parlent, la rupture est consommée. De ce décor aride, on retient cette maison insensée, perchée sur la roche, sous une impressionnante montée de marches, rouge comme on imagine un lieu d’offrande sacrificielle.

 

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Kurt Sucker, dit Curzio Malaparte (1898-1957), est un homme très controversé. « Napoléon s’appelait Bonaparte, et il a mal fini : je m’appelle Malaparte et je finirai bien », prédisait-il. Ecrivain, journaliste, il rêvait d’une maison dont la forme expressive et l’emplacement révèleraient sa personnalité. Il demande à Adalberto Libera (1903-1963), architecte d’avant-garde, de la lui dessiner. Malaparte est tombé sous le charme de Capri lors d’un voyage fin 1937. Presque immédiatement, il y achète un terrain de 12 000 m2 inaccessible, le Capo Massullo, un site rocailleux aux allures de monstre fossile. « Nul lieu en Italie n’offre une telle ampleur d’horizon, une telle profondeur de sentiment. C’est un lieu propre seulement aux êtres forts, aux libres esprits », s’enflamme-t-il. Malaparte fustige le style local affublé de colonnes romanes ou de fenêtres ogivales… Et par « maison moderne », il entend « maison-manifeste » qui concorde avec l’image de son talent.

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Libera esquisse les premiers plans en 1938 sans relevé topographique. Un corps de bâtiment encastré dans le rocher. A l’origine, l’édifice n’est long que de 28 m et large de 6,6 m (il fera au final 54 m sur 10 m). Le rez-de-chaussée suit un parcours latéral à partir duquel sont distribués tous les espaces de la maison. Une légère dénivellation permet de séparer la zone nuit de l’entrée. Le séjour occupe tout l’étage supérieur. Un plan simple. Cette maison va obséder l’écrivain. Il en prend des clichés au fur et à mesure de sa construction puis trace à l’encre sur les photos les modifications possibles. Il fait et défait plus de dix fois un mur pour arriver à la perfection d’un théâtre grec où la nature fait partie de la représentation. Progressivement, il va ainsi négliger son aspect pratique. C’est pourquoi par exemple la balustrade prévue sur le toit solarium finit par disparaître. Seule une petite vague de béton blanc protège désormais des regards. Ça ne l’empêchait pas d’y faire de la bicyclette ! L’escalier qui aborde la maison de front semble mener au ciel. Sa forme trapézoïdale a sans doute été inspirée par celui de l’église de l’Annunziata à Lipari. Et l’idée des gradins dictée par la dépression naturelle du terrain. Le salon dont le sol en dalles de grès souligne son aspect de cour intérieure, apparaît dans une sévère nudité. L’agence­ment de la maison rappelle les maisons pompéien­nes où vie sociale et vie intime étaient clairement séparées. Dans un passage de La Peau, Malaparte décrit la visite du maréchal Rommel. Ce dernier lui demande s’il a fait bâtir la maison ou si elle existait déjà. L’écrivain répond qu’elle existait déjà et qu’il « n’a dessiné que le paysage autour » ! Aujourd’hui, la maison ne se visite pas. Mais le rêve un peu fou d’un homme est toujours là. Et il a bel et bien laissé sa trace dans le paysage.

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Article paru dans le numéro 86 d’IDEAT.

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