Rencontre avec Ludovica Serafini et Roberto Palomba

Elle, c’est Ludovica Serafini, lui, c’est Roberto Palomba. Leur studio milanais PS+A Palomba Serafini Associati, est une machine à succès, prisée d’une kyrielle de labels internationaux. Leurs vingt-deux ans d’expérience pluridisciplinaire les a rendus très clairvoyants sans gauchir leur joie de vivre. C’est même le carburant et le ciment de ces deux architectes et designers. Interview cash.

Comment êtes-vous passés de l’architecture au design ?
L. : Mais c’est pareil. L’architecture, c’est réaliser un rêve avec une stricte connaissance des matériaux et des rouages d’un chantier. Le design est un rêve qui se matérialise aussi par la technique. Mais il diffère par la responsabilité qu’il induit. On peut enterrer un objet raté, mais pas une architecture. Pour moi, c’est le plus grand des arts. Marcher dans l’architecture d’une ville, c’est entrer dans l’une de ses expressions les plus fortes.

En 2016, co-branding Maserati-Zanotta (collection capsule) dans une suite de l’Hôtel de Paris, à Monte-Carlo.
En 2016, co-branding Maserati-Zanotta (collection capsule) dans une suite de l’Hôtel de Paris, à Monte-Carlo. DR

Vos 55 prix servent votre ego, votre image ou votre carrière ?
L. : Je remercie toujours quand on en reçoit. Mais le marché s’en moque. Le plaisir qu’ont les gens de posséder des choses est d’ordre émotionnel. Cela ne tient compte d’aucun prix reçu.
R. : Les prix sont une reconnaissance de notre travail, mais je n’ai pas d’ego à flatter. Cette année, après moult refus, j’ai accepté un prix anglais… pour la salle de bains. (Rires) Si le design se vend, c’est qu’il correspond à un besoin, et c’est tout. Pour moi, ce pouvoir, c’est la vraie drogue de ce métier. C’est d’ailleurs pourquoi j’adore les réseaux sociaux où un « ami » peut m’en parler depuis Melbourne.

En tant que D.A., vous reflétez l’époque ou l’anticipez ?
R. : Quel titre horrible ! « Directeur artistique » rime avec « hystérique ». C’est un dictateur qui juge le travail des autres. Rien d’artistique. Je me sens davantage « conseiller » dans l’usine.
L. : Être D.A. est une immense responsabilité. Il s’agit d’entrer dans une entreprise avec son expérience. Et d’interpréter. Ce moment de création se déroule dans un cocon. Ce n’est pas seulement faire un objet ou un catalogue, c’est faire grandir une marque.

La table de repas « Palio » (Poltrona Frau, 2010), de PS+A Palomba Serafini Associati.
La table de repas « Palio » (Poltrona Frau, 2010), de PS+A Palomba Serafini Associati. DR

Quel sentiment éprouvez-vous avant chaque Salone Del Mobile de Milan ?
L. : (Rires) C’est terrible. Tous les regards braqués sur vous. Même épuisé, il faut présenter ses projets. Ce sont les visiteurs qui conditionnent le déroulement. On a un trac affreux, mais on monte sur scène en se disant que ça va aller.
R. : Le plus important, c’est le travail avant et après. Le prototype terminé la veille, c’est inacceptable. J’y vois beaucoup de choses dispensables, mais nous avons besoin d’y capter l’esprit du marché. Ce serait bien qu’avec Internet la voix du salon porte au-delà du cercle des commerciaux. On doit changer le système.

Le tapis « Check 04 » pour CC-Tapis de PS+A Palomba Serafini Associati présenté au Salone del Mobile 2016.
Le tapis « Check 04 » pour CC-Tapis de PS+A Palomba Serafini Associati présenté au Salone del Mobile 2016. DR

À quoi faire attention en ces temps de crise ?
L. : Bonne question ! Je ne sais pas s’il y a une règle. Je  pense qu’il faut être visionnaire, mais réaliste. Il faut donner des réponses. Si on provoque aussi des émotions, alors on ne s’est pas trompé. Nous veillons aussi à expliquer nos rêves aux responsables du marketing des entreprises, sans condescendance. C’est important pour le succès d’un produit.
R. : Il faut développer une nouvelle culture. Les gens veulent des meubles, beaux, utiles et abordables. Le hic, c’est qu’on a créé une culture du design incompréhensible. C’est pourquoi j’adore Starck. Philippe a parlé aux gens dans une langue qu’ils comprennent, posé des questions à la manière d’un sociologue.

La baignoire de la « Palomba Collection » (Laufen, 2005), de PS+A Palomba Serafini Associati.
La baignoire de la « Palomba Collection » (Laufen, 2005), de PS+A Palomba Serafini Associati. DR

Que représente pour vous la chaise longue Lama ?
L. : Un grand amour. On l’aime tellement que je l’ai commandée en paille à Zanotta, pour notre maison de vacances. Ils l’avaient d’ailleurs photographiée dans cette maison, pour la publicité  !
R. : (Rires) Elle est un concentré de beaucoup de choses qu’on aime. Je l’ai dessinée pour Ludovica. Si vous la voyiez lire, c’est un stress. Elle change de position toutes les cinq minutes. C’est de son corps dans l’espace qu’est née la Lama. Son asymétrie rappelle La Chaise des Eames. Elle a beaucoup, beaucoup de succès.

La magnifique chaise longue « Lama 921 » (Zanotta, 2006), le siège culte de PS+A Palomba Serafini Associati.
La magnifique chaise longue « Lama 921 » (Zanotta, 2006), le siège culte de PS+A Palomba Serafini Associati. DR

Quel genre de projets vous horripile ?
L. : Cela dépend des clients, toujours. Mais nous sommes des êtres humains, italiens qui plus est (rires), donc pas des robots. Le feeling et la confiance sont essentiels sinon ça ne marche pas. La création, ce n’est pas la production.
R. : J’aime la vie, donc tout ce qui est funèbre, très peu pour moi. En même temps, je suis curieux, donc je me dis que tout peut être intéressant. Quand on me demande ce que je fais, je dis que je dessine tout ce qui n’existe pas dans la nature et dont on a besoin.

La collaboration idéale ?
L. : En lisant des magazines, je me dis parfois : « Je dessinerais bien pour cette entreprise. » Mais la valeur que j’apprécie, c’est le courage d’innover, de matérialiser nos rêves.
R. : Moi, je suis un Apple addict. J’achète tout ce qu’ils font. J’aimerais bien travailler pour eux, mais je pense qu’ils ont ce qu’il faut. Travailler sur quelque chose d’immatériel, de l’ordre des valeurs, m’intéresserait beaucoup. Se demander pourquoi on fait les choses.

Ludovica Serafini et Roberto Palomba travaillent en ce moment sur des projets d’architecture et d’agencements d’intérieurs à travers le monde entier.
Ludovica Serafini et Roberto Palomba travaillent en ce moment sur des projets d’architecture et d’agencements d’intérieurs à travers le monde entier. DR

Dans tout ce que vous faites, il n’y a jamais rien de froid, pourquoi ?
R. : Les choses qu’on fait ne sont pas commerciales, mais dédiées à ceux qui vont les vivre. Il s’agit d’améliorer la vie. Par essence, elle n’est pas froide. Même si ce qui se passe dans le monde glace le sang ! Je ne suis pas Obama, je suis designer et je contribue comme lui à faire des actions positives, mais à mon échelle. Présenter des choses sublimement cliniques à destination du club de ceux qui peuvent comprendre, c’est navrant. C’est pourquoi j’aime Vitra, une entreprise capable de projets intellectuels avec en même temps un catalogue qui ne gomme pas les aspérités de la vie.
L. : Je vous l’ai dit, nous sommes contagieux. On fait en sorte que les gens nous aient dans la peau. Ce qui suppose une certaine sensualité, une chaleur jusque dans ce que nous réalisons. Ce qui est froid n’est pas pour moi. Je suis chaleureuse, mon design aussi. J’ai fait chez moi, dans le Salento, une baignoire dans la pierre. L’autre jour, j’y suis restée une heure à la lumière des bougies. Il faut vivre des moments pour soi. Aimer, pleurer et rire.

www.palombaserafini.com