Exclusif : Entretien avec l'architecte Charles Zana

L’architecte Charles Zana dessine des hôtels, des appartements, des boutiques et des restaurants dans un style à la fois rigoureux, luxueux et lumineux. Quand nous l'avons rencontré dans son atelier parisien, il planchait sur le restaurant de Guy Martin à Roissy et l’hôtel Kensington à Londres. Mais son grand projet du moment, c’est l’exposition « Sottsass-Scarpa, dialogue », qu’il met en scène à partir du 13 mai à la Biennale de Venise. Rencontre.

Comment travaillez-vous l’installation d’œuvres dans un intérieur ?
Mon travail consiste à déterminer où les tableaux et les sculptures vont pouvoir vivre, comment ils vont pouvoir respirer. Quand on regarde un tableau, on sent sa puissance et l’endroit où il trouvera sa place. Dans le cas de collaborations avec des propriétaires d’œuvres, je suis autant scénographe qu’architecte d’intérieur. Je suis là pour mettre en scène une famille, un lieu et une collection.

Dans l’atelier de Charles Zana, architecte lettré…
Dans l’atelier de Charles Zana, architecte lettré… DR

Comment vos clients vous choisissent-ils ?
Par les magazines, le bouche-à-oreille et pour une sensibilité commune qu’ils découvrent en voyant mon travail. Ils font appel à moi car je suis à la fois architecte et décorateur. J’ai donc une vision claire du potentiel que l’on peut tirer d’une maison : circulation, volumétrie et direction artistique sur le choix des matériaux, par exemple.

Quels sont vos derniers projets incluant des œuvres ?
On vient d’intégrer une installation d’Anselm Kiefer dans un projet à Marrakech où l’artiste allemand a rempli de sable et de cuirassés un bassin traditionnel. J’ai aussi collaboré avec des gens comme Daniel Buren, James Turrell ou Jean-Michel Othoniel. Lorsque c’est possible, je fais visiter le chantier à l’artiste, qui voit ce que lui évoque ­l’endroit et ce qu’il pourrait créer.

Scénographie de la vente inaugurale de la maison de vente aux enchères Piasa, en 2013, consacrée au design italien.
Scénographie de la vente inaugurale de la maison de vente aux enchères Piasa, en 2013, consacrée au design italien. Jacques Pepion

Entre les installations, les performances, les micro-architectures, le rôle des artistes, des designers et des acteurs des autres champs de la création semble en pleine remise en question, et les cartes, rebattues…
La grande discussion sur la frontière entre l’installation, l’art, l’architecture et le design est loin de mettre tout le monde d’accord. Certains artistes interviennent dans plusieurs contextes et types d’espaces : l’intervention d’Olafur Eliasson (@studioolafureliassion) au jardin de Versailles ne l’empêche pas de réaliser un restaurant dans Paris et de posséder aussi son installation pérenne à la Fondation Louis Vuitton (Inside the Horizon est à découvrir autour du bassin de la fondation, NDLR). Avec un artiste comme Tino Sehgal, qui ne fait que des installations avec le corps, comment différencier son travail d’une chorégraphie ? Et prenez Bob Wilson : sa dernière chorégraphie s’apparente à une véritable installation d’art. Vous la mettriez dans une foire d’art contemporain, elle trouverait sa place comme œuvre tant elle est le produit d’une pensée et d’un cadrage. On est dans une époque de redéfinition des rôles de chacun.

Comment voyez-vous l’art évoluer ?
On sort d’une approche baroque et décorative pour aller vers quelque chose de plus sensible, d’essentiel et d’instinctif. C’est pour cela que j’adore Tino Sehgal (invité l’hiver dernier pour une carte blanche au Palais de Tokyo, NDLR).

L’architecte Charles Zana est aussi à l’aise dans l’invention de structures pérennes que dans la création de scénographies d’événements. Ici avec l’une de ses collaboratrices.
L’architecte Charles Zana est aussi à l’aise dans l’invention de structures pérennes que dans la création de scénographies d’événements. Ici avec l’une de ses collaboratrices. DR

Êtes-vous collectionneur ?
Je collectionne de la peinture, ce qui devient compliqué tant le ticket d’entrée est devenu élevé. Je suis dans une fin de cycle. Je vais me remettre à chercher de nouveaux artistes… Mais je suis surtout un collectionneur de Sottsass, un précurseur qui a fait bouger les lignes de l’architecture et surtout des années 60. Lui qui voulait être peintre a toujours été dans cette recherche très spirituelle sur les couleurs et les formes primaires. Ces assemblages d’apparence très simple composent à la fin un équilibre très affirmé. Son travail, qui a l’air très enfantin, se révèle en réalité très complexe.

Vous souhaitez donc lui rendre hommage dans votre exposition « Sottsass-Scarpa, dialogue », qui aura lieu à Venise durant la Biennale ?
Je veux faire réfléchir les visiteurs sur une certaine Italie des années 60 très novatrice, sur ces architectes qui ont inventé la modernité. Scarpa et Sottsass ont été les directeurs artistiques successifs d’Olivetti et sont à l’initiative de l’image de ce qu’était une marque « moderne ». J’ai donc souhaité recréer le lien entre les deux afin de provoquer une nouvelle perception de leur travail, en faisant dialoguer l’œuvre de Sottsass, peu connue, avec ce lieu dessiné par Scarpa. Pour cela, j’ôterai les machines à écrire, que je remplacerai par des vases de Sottsass, et je vais aussi jouer avec la ­lumière, la musique et le graphisme.

Tabouret Nomad de Charles Zana.
Tabouret Nomad de Charles Zana. Jacques Pepion