À Tunquén (Chili), comme une p(l)age blanche

En décernant l’an dernier le prix Pritzker au Chilien Alejandro Aravena, l’institution du « Nobel de l’architecture » entraîna un coup de projecteur sur le pays de son récipiendaire, en proie à une véritable fièvre architecturale. En témoigne particulièrement la région de Tunquén, au sud de Valparaíso, devenue le terrain de jeu des architectes chiliens.

Ils ont pour nom Nicolás Loi, Branko Pavlovic, Pablo Lobos-Pedrals, Mirene Elton, Álvaro Ramírez, Daniel Buzeta, Fernanda Energici, Víctor Gubbins, Nicolás Lipthay Allen ou encore Rodrigo Santa María. Tous appartiennent à de grands cabinets d’architecture de Santiago et tous ont construit, ou sont en train de construire, une maison à Tunquén. Depuis la fin de la dictature, en 1990, de nombreuses écoles privées d’architecture ont vu le jour et la nouvelle génération qui en sort a décidé de prendre en main l’image du Chili. Sa philosophie est d’imaginer des maisons au design élégant porté par une architecture ­ultratechnique, faisant corps avec une nature exceptionnelle et capricieuse (tremblements de terre, tempêtes, canicules…).

Parmi les plus beaux exemples, citons la Casa Bahía Azul, réalisée par Felipe Assadi et Francisca Pulido, maison aérienne de verre et de béton accrochée à même la falaise de Los Vilos, dans la région de Coquimbo ; et celle qui portera le nom de Casa Atrapa Vistas, littéralement « maison attrape-vues », imaginée par l’architecte Cristóbal Valenzuela Haeussler (@cvh_land) fondateur de Land Arquitectos, astucieux agencement d’espaces de vie ayant chacun une vue différente, qui est en train de sortir de terre à Tunquén.

En prise avec la nature
Situé à deux heures de route de la capitale et à une demi-heure de Valparaíso, Tunquén est d’abord une plage battue par les vagues, bordée au nord par une côte déchiquetée et sauvage. Jadis, les gens d’ici vivaient de la forêt et d’un peu d’élevage. Et puis un jour, dans les années 90, deux sœurs âgées propriétaires d’une portion de falaise eurent la bonne idée de diviser leur terrain en parcelles et de les mettre en vente. Ces parcelles ne sont pas viabilisées, mais qu’importe !

Quelques initiés s’empressent d’acquérir leur lopin, des habitants de Santiago désireux d’avoir un pied à l’air libre. Les premières maisons bâties sont simples, en bois, se concentrant sur le haut des falaises pour bénéficier de la vue et de la lumière. Des puits sont creusés et, bientôt, les panneaux solaires remplacent les lampes à pétrole et les bougies. À l’époque, rares sont les architectes qui sont sollicités, la classe moyenne n’ayant pas encore tiré les bénéfices d’une économie ultralibérale.

La maison réalisée par l’architecte local Pedro Salas en 1990 a été entièrement repensée en 2008 par Delphine Ding et José Ulloa Davet pour en faire un lieu de villégiature en prise directe avec la nature.
La maison réalisée par l’architecte local Pedro Salas en 1990 a été entièrement repensée en 2008 par Delphine Ding et José Ulloa Davet pour en faire un lieu de villégiature en prise directe avec la nature. Antoine Lorgnier

La seule maison digne d’intérêt est celle construite dès 1990 par l’architecte local Pedro Salas. Rénovée en 2008 par Delphine Ding et José Ulloa Davet, elle est désormais flanquée sur sa façade est d’un large escalier en bois montant jusqu’au toit-terrasse imaginé en gradins, à la façon d’un amphithéâtre, pour pouvoir assister au spectacle de la nature sans cesse renouvelé. Par mauvais temps, le repli est possible au rez-de-jardin, composé d’une vaste pièce avec une cuisine de plain-pied. La rénovation a aussi consisté à rendre la maison écocompatible, avec des lampes à LED alimentées via une tour séparée de la maison, équipée de panneaux photovoltaïques et abritant le système de pompage et de recyclage de l’eau qui arrose les arbres du jardin, barrière ­naturelle contre le vent d’hiver et source de fraîcheur lors des fortes chaleurs estivales.

L’architecte Nicolás Lipthay Allen (cabinet L2C) fut l’un des premiers à construire une maison à Tunquén. Son rectangle de béton blanc posé à fleur de falaise se veut un refuge contemplatif contemporain.
L’architecte Nicolás Lipthay Allen (cabinet L2C) fut l’un des premiers à construire une maison à Tunquén. Son rectangle de béton blanc posé à fleur de falaise se veut un refuge contemplatif contemporain. Antoine Lorgnier

À Tunquén, tout s’est emballé depuis une petite dizaine d’années. Avec l’élévation du niveau de vie, la plupart des nouvelles maisons sont désormais confiées à des architectes que l’exceptionnel environnement de cette côte sauvage, à l’évidence, stimule ! D’autant que, par ici, les règles d’urbanisme sont pour le moins légères. Au lieu-dit Punta de Gallo, l’endroit le plus sauvage de Tunquén, l’architecte Nicolás Lipthay Allen (cabinet L2C) a posé un rectangle de béton blanc à fleur de falaise qu’il estime être « l’exemple le plus abouti d’un refuge contemplatif contemporain permettant à ses occupants de se connecter à la nature et à l’océan pour décompresser du quotidien dans une capitale frénétique et polluée » !

Le salon est comme naturellement prolongé par une terrasse totalement ouverte sur la falaise, à la verticale des vagues venant se fracasser sur les rochers. La maison est de plain-pied avec une pièce de vie traversante flanquée de deux ailes abritant cuisine, salle de bains et chambres. À l’arrière, un patio fermé sert d’entrée et de retraite abritée en cas de vent violent. Plus aérienne encore est la maison voisine réalisée par le cabinet Mas Fernandez Arquitectos. Leur Casa Tunquén s’inspire étonnement de la maison Hatch, réalisée en 1960 à Cape Cod, sur la côte est des États-Unis, par l’architecte Jack Hall. Cette plateforme en bois de 140 m2 se décompose en plusieurs modules de 3,5 m2 délimités par des piliers sur lesquels viennent s’accrocher des panneaux en bois qui serviront à la fois de toit et de murs. Côté ouest, la plateforme accueille une terrasse ouverte sur le Pacifique et ses magnifiques couchers de soleil. L’ensemble est construit avec du pin blanc chilien et recouvert en extérieur d’un graphite noir résistant aux intempéries qui donne à la maison l’apparence d’un « conteneur tombé d’un navire et échoué sur la côte ».

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