La Havane, une révolution par le béton

À la fin des années 40, une jeune génération d’architectes formés à La Havane invente une version cubaine du mouvement moderne. Mais la révolution de 1959 sonne le glas de cet élan créatif, prolifique et avant-gardiste. Heureusement, les édifices de béton sont toujours visibles aujourd’hui dans la ville, comme autant de précieux témoins de l’Histoire…

Le Las Vegas des Caraïbes

Les années 50 marquent la maturité du mouvement moderne cubain, stimulé par plusieurs facteurs : d’un côté, cette génération d’architectes de grand talent et audacieux, tout juste diplômés ; de l’autre, des « nouveaux riches » ayant fait fortune dans le commerce du sucre, la banque ou l’immobilier et des touristes américains qui investissent dans la construction. Mais aussi des parrains de la mafia, qui blanchissent l’argent en ouvrant des hôtels et des casinos, à commencer par Meyer Lansky…

Le stade Panaméricain, construit pour les Jeux panaméricains de 1991, est aujourd’hui dans un état de dégradation avancé.
Le stade Panaméricain, construit pour les Jeux panaméricains de 1991, est aujourd’hui dans un état de dégradation avancé. Jean-Claude Figenwald

Le plus haut niveau de l’État lui-même est plutôt favorable aux changements urbanistiques : le président Fulgencio Batista est entouré de nombreux conseillers, dont des architectes qui signent les permis de construire d’équipements majeurs. À l’instar de la pharaonique Cité des sports, de Nicolás Arroyo et Gabriela Menéndez, dont le navire amiral, un stade de 15 000 places assises, bénéficie d’un dispositif innovant qui permet l’évacuation complète en cinq minutes.

Devant les immeubles du Malecón (le front de mer), cette statue du poète et philosophe José Martí (1853-1895) portant un enfant pointe son doigt vers l’ambassade des États-Unis.
Devant les immeubles du Malecón (le front de mer), cette statue du poète et philosophe José Martí (1853-1895) portant un enfant pointe son doigt vers l’ambassade des États-Unis. Jean-Claude Figenwald

D’autres réalisations incarnent cette période euphorique et débridée, notamment celles de l’architecte Max Borges Recio, dont le très élitiste Club Náutico, avec ses arches en forme de vague, et le cabaret Tropicana, haut lieu de la vie nocturne, avec ses voûtes en béton incurvé et ses plafonds vitrés qui jouent avec la lumière naturelle. « À cette époque, La Havane était le Las Vegas des Caraïbes, résume Rita María Hernández Gonzalo. Fulgencio Batista envisageait même de créer des îles artificielles au large du Malecón pour y installer des stations balnéaires, comme l’ont fait ­récemment les Émirats arabes unis ou le Qatar. »

Le quartier du Vedado abritant de nombreuses tours avant-gardistes, il est aisé d’y prendre de la hauteur et de s’offrir ainsi une vue sur la mer.
Le quartier du Vedado abritant de nombreuses tours avant-gardistes, il est aisé d’y prendre de la hauteur et de s’offrir ainsi une vue sur la mer. Jean-Claude Figenwald

Trois quartiers constituent la ville « moderne » et perpétuent aujourd’hui encore la mémoire architecturale des années 50 : le Vedado-Nuevo Vedado (le plus animé), Miramar et Siboney-Cubanacán (plus résidentiels). Le premier, par sa position centrale, s’est imposé rapidement. Les bâtisseurs ont fait sortir de terre des édifices majeurs, notamment autour de la Rampa, la rue en pente qui descend vers la mer.

La synagogue du Vedado a été érigée en 1953 par Aquiles Capablanca.
La synagogue du Vedado a été érigée en 1953 par Aquiles Capablanca. Jean-Claude Figenwald

Dans l’hôtel Tryp Habana Libre (ex-Habana Hilton), la chambre au 23e étage dont Fidel Castro avait fait son QG durant les trois premiers mois après la révolution est restée intacte. Le patio verdoyant, les mezzanines autour et la verrière ronde au plafond, puissant puits de lumière, font de son lobby la quintessence du mouvement moderne cubain.

L’entrée de l’hôtel Habana Libre (Welton Becket, 1958) est décorée d’une gigantesque fresque murale de l’artiste Amelia Peláez.
L’entrée de l’hôtel Habana Libre (Welton Becket, 1958) est décorée d’une gigantesque fresque murale de l’artiste Amelia Peláez. Jean-Claude Figenwald
Enseigne de l’hôtel Tryp Habana Libre (ex-Habana Hilton), dans lequel Fidel Castro avait établi son QG durant les trois premiers mois de l’après-révolution.
Enseigne de l’hôtel Tryp Habana Libre (ex-Habana Hilton), dans lequel Fidel Castro avait établi son QG durant les trois premiers mois de l’après-révolution. Jean-Claude Figenwald

Tout près de là, deux autres hôtels emblématiques tentent de perpétuer leur gloire passée : le NH Capri, qui n’a gardé de l’époque que les suspensions et le sol de son hall d’entrée, et surtout le mythique Habana Riviera, qui a accueilli la fine fleur d’Hollywood comme Ginger Rogers, Ava Gardner ou Frank Sinatra… et la pègre américaine.

L’entrée du NH Capri (Jose Canaves, 1957).
L’entrée du NH Capri (Jose Canaves, 1957). Jean-Claude Figenwald
Le très beau bar de l’hôtel NH Capri recrée fidèlement l’esprit fifties… mais rien n’est d’origine.
Le très beau bar de l’hôtel NH Capri recrée fidèlement l’esprit fifties… mais rien n’est d’origine. Jean-Claude Figenwald