Portrait : Édouard François, fer de lance de l'architecture végétale

Édouard François occupe une place à part dans le paysage architectural français. Honni ou adulé, il a le mérite de ne pas mâcher ses mots ni de craindre d’en faire trop. Son franc-parler est réjouissant, dans un milieu trop souvent corseté par la bienséance. Chantre de l’architecture végétale, il réalise des bâtiments iconoclastes qui, comme lui, ne laissent personne indifférent : L’Immeuble qui pousse à Montpellier, l’hôtel Fouquet’s Barrière et la Tower Flower à Paris… En 2012, il a rebaptisé son agence Maison Édouard François, une manière d’assumer avec le sourire le milieu aristocratique dont il est issu. Il y a dix-huit mois, il a quitté le XVe arrondissement pour le quartier de la Bastille, à quelques rues d’IDEAT. Lors de notre rencontre, nous avons parlé architecture mais aussi organisation du travail, lithothérapie et fleur de sel…

À l’image de ces pierres qui parsèment l’agence ?
Il y a effectivement une grande quantité de pierres précieuses dans nos locaux. Je les ai choisies pour leur capacité à influencer la création. Émeraude, quartz blanc, améthyste… Chaque pierre a ses vertus. Atteindre un niveau de conscience et de connaissance instantanée, capter les préoccupations d’une personne pour qu’elle puisse travailler de manière apaisée… Les architectes sont de vraies brutes. Tout leur vocabulaire tourne autour du sadomasochisme. Ils sont assez guerriers dans leurs attitudes. « Il faut être radical. Il faut assumer », disent-ils. Moi, je n’assume pas du tout ! Je pense que tous devraient avoir un cristal rose qui symbolise l’amour, la féminité. J’attends prochainement une labradorite bleue de Madagascar de 430 kilos. Il faut sortir de la vision erronée d’un monde rationnel. On attribue les mêmes propriétés aux pierres dans tous les pays depuis l’Antiquité, alors que les gens ne communiquaient pas entre eux comme aujourd’hui. Cela veut bien dire quelque chose, non ?

Edouard François, baptisé « The Hero of Green Architecture » par le Financial Times en 2011.
Edouard François, baptisé « The Hero of Green Architecture » par le Financial Times en 2011. Young-Ah Kim

Vos clients ne sont pas trop surpris ?
Ces pierres véhiculent l’image d’un architecte un peu « pysché » qui expérimente. C’est pas mal. Et si ça ne leur plaît pas, ce n’est pas très grave. Je n’ai pas besoin de clients qui me disent ce que je dois faire.

Les maîtres d’ouvrage ne sont pas toujours des enfants de chœur. Comment faites-vous quand ils se montrent trop directifs ?
Je les envoie promener. Je pourrais faire plein d’autres choses que de l’architecture et je n’ai pas besoin d’argent à ce point-là. Je ne fais que ce que je veux.

C’est loin d’être le cas de tous les architectes…
Parce qu’ils n’osent pas. Par exemple, parler d’architecture avec des clients n’a aucun intérêt. Ils sont dans des problématiques financières, veulent rentabiliser leur investissement, ils se contrefoutent de nos états d’âme. L’architecte doit garder ses problèmes plutôt que de s’entendre répondre « je n’aime pas le bleu, le rose » ou je ne sais quoi d’autre. Plus les options que je propose sont « casse-gueule », moins j’en parle.

Immeuble de logements et de commerces Le Python, Grenoble (2017).
Immeuble de logements et de commerces Le Python, Grenoble (2017). Renaud Chaignet

Et cette méthode a fait ses preuves ?
Oui. Et avec presque tout le monde. À Grenoble, dans le quartier Cambridge, j’ai travaillé avec un promoteur qui m’a doucement conduit vers un projet banal convoquant tous les invariants de la promotion. Comment se différencier quand tout semble écrit ? Il faut être brave et apprendre à toréer. Pour contrer la situation, j’ai présenté une enveloppe tellement puissante qu’elle brouille la lisibilité de la volumétrie. J’ai eu l’idée de proposer une copie exacte d’une peau de python en regardant un sac chez Prada. Quand on applique ces écailles d’Inox et de zinc prépatinées sur le bâtiment, on ne voit plus que la peau de serpent. L’immeuble se trouve au milieu de l’avenue principale. Il devait porter le flambeau : non pas celui des promoteurs, mais celui de l’architecture.