Interview : Samuel Accoceberry, le style de la méthode

En présentant une collection chez Flexform lors du Salon du meuble de Milan, le prolifique designer français Samuel Accoceberry collaborait pour la première fois avec un éditeur italien. Un terrain en partie connu pour ce professionnel passé par les studios des architectes Antonio Citterio et Rodolfo Dordoni. Représentant d’une certaine vision du style français d’édition, Samuel Accoceberry est de fait bien placé pour nous parler de design... et de Milan !

 

Auparavant, au lycée Raymond- Loewy de La Souterraine (Creuse) puis aux Beaux-Arts de Nancy, vous encourageait-on à prendre des risques ?
Mon BTS était une formation au design technique et industriel, dans laquelle la rigueur et le concept primaient ; avec, quand même, une approche créative un peu plus large. À l’inverse, aux Beaux-Arts de Nancy, avec les enseignements liés à l’art contemporain, nous étions complètement décloisonnés. Les enseignants cassaient les codes.

À cette époque, saviez-vous ce que vous vouliez faire ?
J’ai choisi le design très jeune. Mais j’ai connu ensuite le clivage entre deux visions de cette discipline : celle d’une esthétique industrielle et celle d’une dimension artistique. Entre les deux, il n’y avait pas de passerelle. Les formations sont désormais plus ouvertes.

Matali Crasset a évoqué un jour les étudiants rêvant d’être édités chez Cappellini. Son confrère Marc Venot pointait récemment ceux qui « voulaient devenir des stars ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?
J’enseigne encore à Troyes et Paris. Ce dont parle Marc Venot est un problème générationnel : être designer, ce serait comme sortir de la Star’Ac de la création. On veut être célèbre sans se rendre forcément compte de l’investissement nécessaire. Des outils comme Instagram ou le phénomène du selfie conditionnent ça. C’est plus une histoire d’époque que de design…

Twig, suspension de rubans lumineux flexibles à base de technologie OLED.
Twig, suspension de rubans lumineux flexibles à base de technologie OLED.

Nature, développement durable et environnement. Comment intégrer ce triptyque dans votre travail ?
Réaliser un projet, c’est raconter quelque chose qui nous correspond, choix des matériaux inclus. Bien sûr, il y a des compromis à faire. Personnellement, j’en gère certains, notamment quand je travaille pour une galerie.

Est-il sensé de demander à un designer quel champ du design il souhaite investir ?
On peut avoir une envie et s’y coller. J’ai fait un peu de luminaires et, je le concède, j’aimerais en élaborer davantage. Même chose pour l’architecture d’intérieur. Ce qui est tentant, ce sont les projets avec lesquels on peut exprimer le plus de choses. J’aimerais gérer des propositions plus artistiques aussi, mais globalement, ce qui m’intéresse, c’est de créer un peu de tout. Après un projet très technique et contraignant, j’ai toujours envie de quelque chose de plus libre. Et vice versa !

Le chicissime bureau Benjamin (Flexform) et ses plateaux laqués superposés tandis que ses montants se parent de marbre.
Le chicissime bureau Benjamin (Flexform) et ses plateaux laqués superposés tandis que ses montants se parent de marbre.

Quel genre de produits voudriez-vous apporter aux gens ?
Je n’ai pas du tout l’ego pour me poser la question. J’essaie de matérialiser les projets, d’apprendre, de prendre du plaisir et de rencontrer des gens. Ce qui m’importe le plus, c’est de concevoir avec certaines personnes. Ça et le fait de me lancer dans quelque chose que je n’ai encore jamais fait.

De Laudescher à Collection Particulière, vos éditeurs se ressemblent-ils ?
Pas forcément, si l’on regarde la nature de leur secteur. Quand je les rencontre, je leur explique de la même façon mon approche et ma sensibilité aux matériaux. J’essaie d’avoir un propos qui soit cohérent avec le respect de la marque, de son identité et de son savoir-faire. Je suis un polyglotte qui doit exprimer quelque chose à propos du design mais sous différents aspects. Je peux aussi bien dessiner une cocotte en fonte pour Staub qu’un bureau pour Flexform.

Edge, de Laudescher : une solution de parements architecturale à la finition haute couture.
Edge, de Laudescher : une solution de parements architecturale à la finition haute couture. DR

On parle beaucoup des artisans aujourd’hui. Que peuvent-ils apporter de différent ?
C’est aussi un phénomène de communication… Des artisans qui travaillent avec des designers, ce n’est pas nouveau mais avant, on y faisait moins attention. Je me demande si cela ne procède pas d’un effet post-crise de 2008. On s’est rendu compte que certains artisans s’en sortaient et qu’ils étaient économiquement actifs. Chacun se demandait aussi de quoi était fait notre patrimoine et l’excellence du savoir-faire à la française.

Quand on dessine un dépose-bagages automatique pour l’aéroport de Roissy, est-ce frustrant de ne pas le signer ?
Non, je ne trouve pas cela frustrant du tout car je ne fais pas du design pour être une star. Certes, j’aime bien que l’on m’attribue quand même ce que j’ai conçu, mais l’ego est bien plus satisfait par quelque chose qui n’est pas signé, une chose qui fait le lien avec son créateur uniquement quand on apprend de qui il s’agit.

Pourquoi vous auto-éditer avec SAS Edition ?
C’est un peu mon fourre-tout, des objets que je développe ou que j’ai développé chez d’anciens éditeurs qui ont fermé, et qu’on me demande encore.

Vous travaillez avec une majorité de designers français. À quoi est-ce dû ?
Aux circonstances ! Ce n’est pas une stratégie mais le fruit des opportunités qui se sont présentées à moi. Je travaille avec Alki parce que j’ai des origines basques et que je suis allé à leur rencontre. Je collabore avec Bosc parce qu’avec Jean-Louis Iratzoki, on l’a lancé dans la sphère d’Alki. Chevalier Édition, c’est en rencontrant son directeur artistique. Vous voyez, les projets proviennent aussi des liens entre les personnes.

Pourtant, quatre ans à Milan, c’est suffisant pour y connaître des éditeurs, non ?
Je connais en effet pas mal de marques mais ce qui est difficile là-bas, c’est que les éditeurs ne collaborent qu’avec des designers « bankables », des stars de la profession. Ce n’est pas une histoire de projets. Il faut être dans la première division car cela garantit une certaine couverture médiatique. Et, si le designer fait aussi des hôtels, il peut même être générateur d’autres projets. Il y a toute une dynamique business qui joue. Le designer connu est un écosystème : plus il est renommé, plus l’écosystème est important. Les autres représentent une curiosité ou un apport de sang neuf.

Moon (SAS Edition), potence en collaboration avec Bruce Cecere, ferronnier.
Moon (SAS Edition), potence en collaboration avec Bruce Cecere, ferronnier. DR

De quoi manque-t-on dans le design en France ?
D’un statut mais le sujet est récurrent. Le métier commence à être identifié, dans le tissu économique. On a fait un sacré bond au niveau de la communication ministérielle. Mais, du point de vue du statut professionnel, le designer demeure inclassable.

Pourquoi ce retard ?
Artistes, écrivains, graphistes, sportifs, cinéastes, stylistes de mode, cuisiniers : tous ont un statut. Pour les designers, je ne sais pas ce qui freine. Serait-ce le fait que nous correspondions à différents types de structures économiques ? Quand bien même, il n’y a aucune initiative de prise. Quelques designers se sont mobilisés, d’autres sont reçus au ministère de la Culture. Ce métier n’a peut-être pas un poids économique suffisant. Et pourtant, on fait la promotion du design dans les centres culturels français à l’étranger. Le problème, c’est que le design ne repose sur aucune organisation spécifique. L’Association des designers français existe mais reste une association.

Des designers dont vous appréciez le travail ?
Konstantin Grcic, toujours à la limite de l’approche artistique avec ce côté électron libre que j’aime beaucoup. Stefan Diez aussi. Il possède une façon très intéressante d’aborder le design industriel. Isamu Noguchi (1904-1988) et sa veine artistique sont également très inspirants. L’année dernière, j’ai vu pour la première fois le musée Noguchi, dans le Queens. Son approche sensuelle du volume est loin de la recherche fonctionnelle.

Xistera (Bosc) une assise aux proportions et à l’architecture singulières.
Xistera (Bosc) une assise aux proportions et à l’architecture singulières. DR