Fondation Carmignac, l’art sens dessus dessous à Porquerolles

Ouverte depuis juin, elle a trouvé sa place dans le décor enchanteur de l’île de Porquerolles, sans dénaturer l’environnement. Au contraire, puisqu’elle s’en fait la gardienne, utilisant au passage l’immense potentiel de l’écrin qui accueille son parc de sculptures. Mais c’est entre ses murs et sous terre que l’établissement donne toute sa mesure, proposant au visiteur un fonds d’art contemporain très riche, dans une symphonie parfois déroutante.

C’est dans un ancien mas provençal, en plein cœur d’un parc national, que la Fondation Carmignac présente sa collection d’art contemporain. Ici, pas de tour extravagante ni de vaisseau époustouflant qui écraseraient les vignes environnantes et empêcheraient la vue sur la mer. La villa – qui fait une apparition dans une scène de Pierrot le fou (1965), film mythique de Jean-Luc Godard – se fond dans le paysage. « Réfractaire à l’idée que la culture puisse être un objet de consommation », Édouard Carmignac, directeur de la fondation et président d’une société de gestion d’actifs, propose un voyage initiatique à la fois physique et mental ; un passage par la mer, de Hyères jusqu’à Porquerolles, qui se poursuit par la forêt au milieu d’espèces protégées.

Pas d’enveloppe architecturale extravagante. Mais sous des atours modestes, la Fondation Carmignac a beaucoup à révéler.
Pas d’enveloppe architecturale extravagante. Mais sous des atours modestes, la Fondation Carmignac a beaucoup à révéler. Lionel Barbe

Au bout du chemin, le long duquel des casiers accueillent les sacs encombrants, L’Alycastre de Miquel Barceló, sculpture géante portant le nom du dragon légendaire de l’île, signale l’entrée de la villa (l’une des vingt commandes créées pour le lieu par des artistes internationaux). Après s’être purifié en ingérant une décoction à base de plantes locales, préparée par le pharmacien de Porquerolles, le visiteur est invité à se déchausser pour déambuler dans ce musée de 2 000 m2 aux cimaises amovibles, conçu par l’agence GMAA. Une volée de marches envahie de branchages composés de corde bleue, matériau de prédilection de Janaina Mello Landini (série « Ciclotrama », 2018), mène sept mètres plus bas : sous le niveau de la mer plutôt que sous la terre.

« L’Alycastre » (2018) de Miquel Barceló.
« L’Alycastre » (2018) de Miquel Barceló. Marc Domage

Une fois salué le propriétaire des lieux à travers son portrait peint par Jean-Michel Basquiat – qu’Édouard Carmignac a rencontré à la Factory d’Andy Warhol, à New York, où il a notamment étudié à l’université Columbia dans les années 70 –, et passé une double porte, un bruit de chutes d’eau résonne. Celui-ci émane de la fontaine de Bruce Nauman (One Hundred Fish Fountain, 2005), l’une des 70 œuvres extraites de la collection de 300 pièces de la Fondation Carmignac, jusque-là accrochées dans les bureaux parisiens de la société.

« Ciclotrama 50 (Wind) » (2018) de Janaina Mello Landini.
« Ciclotrama 50 (Wind) » (2018) de Janaina Mello Landini. Marc Domage

La lumière, issue du plafond d’eau (l’ancienne piscine), inonde l’espace tandis que les rayons du soleil traversant l’eau troublée par la brise dessinent des ombres sur les parois bleutées et le sol de grès nervuré. Elle délimite un parcours en forme de croix. Ainsi, dans l’autel semi-circulaire creusé sous l’ancienne salle à manger s’impose une fresque de Miquel Barceló, longue de seize mètres et peuplée de méduses et de créatures mystérieuses. À l’une des extrémités de la nef, des photographies évoquent l’autre volet de cette collection particulière, le prix Carmignac du photojournalisme, décerné annuellement depuis 2009 à un reporter dont les images témoignent de la violation des droits de l’homme dans le monde. Fin de l’expérience immersive.

L’ancienne piscine, transformée en plafond d’eau.
L’ancienne piscine, transformée en plafond d’eau. Fondation Carmignac
« Not Titled Yet » (2018) de Miquel Barceló.
« Not Titled Yet » (2018) de Miquel Barceló. Marc Domage

L’exposition inaugurale, qui emprunte son titre à une peinture sur panneau métallique d’Ed Ruscha, Sea of Desire, se poursuit au premier niveau. Le visiteur y accède par un escalier surplombé d’un rideau multicolore de Jacob Hashimoto, constitué de 2 500 papiers découpés (The Impermanent, Shattered Peace Between Future and Past, All Written in the Sky, 2018). Mais dessus ou dessous règne la même impression de sens dessus dessous, l’accrochage associant allégrement Roy Lichtenstein et Botticelli, Alexander Calder et Yves Klein, Gerhard Richter et Willem de Kooning, Josef Koudelka et Shirin Neshat, Keith Haring et Yoshitomo Nara…

« Fallen Angel » (1981) de Jean-Michel Basquiat.
« Fallen Angel » (1981) de Jean-Michel Basquiat. Fondation Carmignac

Rechaussé, le visiteur déambule ensuite dans un parc de 15 hectares, agencé par le paysagiste Louis Benech, qui est notamment l’auteur du bosquet du Théâtre d’Eau dans les jardins du château de Versailles. Se dressent là désormais, du nord au sud, les sculptures d’Ugo Rondinone, de Nils-Udo ou d’Alexandre Farto aka Vhils. Le street-artiste portugais a gravé, sur l’ancienne cabane du jardinier, le portrait de Françoise, femme de l’acteur Jean Rochefort et fille de l’architecte Henri Vidal, le premier propriétaire de ce domaine, devenu sous l’impulsion d’Édouard Carmignac une ode à la nature, à l’architecture et à l’art contemporain.

« Les Trois Alchimistes » (2018), de Jaume Plensa, dans le parc de 15 hectares.
« Les Trois Alchimistes » (2018), de Jaume Plensa, dans le parc de 15 hectares. Marc Domage
« Scratching the Surface Porquerolles » (2018) d’Alexandre Farto aka Vhils.
« Scratching the Surface Porquerolles » (2018) d’Alexandre Farto aka Vhils. Marc Domage

> Fondation Carmignac, Île de Porquerolles, Hyères (83). Tél. : 04 95 04 95 94.
> En 2018, ouverture jusqu’au 4 novembre. Les années suivantes, de début avril à la fin des vacances de la Toussaint. Réservations sur Fondationcarmignac.com

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