Entretien avec Odile Decq, architecte et enseignante engagée

Rare femme architecte à la stature internationale dans un milieu très masculin, Odile Decq est notamment connue pour l’extension du musée d’Art contemporain de Rome (Macro) ou le FRAC Bretagne. À la Biennale de Venise (jusqu'au 25/11), elle propose « Phantom’s Phantom », une installation qui traite du restaurant de l’Opéra de Paris qu’elle a dessiné, et une scénographie présentant Diagonal 0, une tour qu’elle construit à Barcelone. Pour IDEAT, elle confie des derniers coups de cœur.

Votre coup de cœur architectural à Venise ?
Les arcades de la place Saint-Marc, c’est un urbanisme qui fonctionne très bien.

Le bâtiment le plus émouvant du monde ?
La chapelle du couvent de La Tourette, à Éveux (69) (dessiné par Le Corbusier dans les années 50, NDLR). Je m’y suis sentie minuscule. J’ai ressenti la même chose au Musée juif de Berlin (de Daniel Libeskind, 2001, NDLR), notamment dans la tour encastrée dans le sol, derrière la lourde porte. Dans chacun, c’est le travail de la lumière qui m’a fascinée. Ces choses fortes et minimales m’émerveillent et me montrent la voie que j’aimerais suivre.

Le plus beau bâtiment historique ?
J’apprécie plutôt les petites chapelles bretonnes accrochées à la roche, encastrées dans le paysage. J’aime le travail du rapport entre la masse et le paysage face au vent.

La ville la plus intéressante en matière d’architecture contemporaine ?
Difficile à dire… Toutes se targuent de faire des collections d’architectures. J’ai longtemps été fascinée par le dynamisme de Londres, surtout dans les années 80-90. Aujourd’hui, j’aime l’évolution de la périphérie parisienne, mais tout cela fascine, puis lasse. Ces démarrages liés au dynamisme économique des villes montrent une confiance en l’avenir à laquelle je suis attentive.

La ville historique dont l’architecture vous fascine ?
Rome, pour le Panthéon, un bâtiment que l’on n’imagine pas avoir été construit par les Romains tant il est minimal et évident. Mais j’aime aussi cette ville sans plan. Circuler dans Rome, c’est partir à l’aventure. La lumière bouge, danse dans les rues, contrairement à Paris, construite selon des axes réglés, avec une homogénéité de hauteurs d’immeubles.

Votre architecte favori ?
Je m’intéresse beaucoup plus aux bâtiments qu’à une œuvre globale. Si je suis émue par le travail de Le Corbusier à Ahmedabad, je n’aime pas tout chez lui. J’aime être surprise. Et que l’écrasante majorité des architectes ait toujours été des hommes me peine beaucoup. Je préfère donc me focaliser sur les œuvres.

Succession de bâtiments à Chandigarh.
Succession de bâtiments à Chandigarh. DR

Le mouvement ou le style architectural qui vous intéresse ?
Je ne suis ni les courants ni les mouvements. Les avant-gardes, les utopies m’intéressent, mais plus par leur vision de l’avenir que formellement. Je ne suis ni idéologue ni doctrinaire.

Le Centre Pompidou à Paris (Piano & Rogers).
Le Centre Pompidou à Paris (Piano & Rogers). DR

Le bâtiment qui symbolise le mieux le XXe siècle ?
L’Opéra de Sydney, de Jørn Utzon, chez qui j’ai fait mon stage et où j’étais entourée de maquettes de ce projet qui a changé la physionomie de la ville et le regard que les gens portent sur elle. C’est un bâtiment magistral. Et le Centre Pompidou, qui a marqué un avant et un après. Il a levé des interdits. Alors étudiante, je me suis dit : « Ça y est, Paris s’ouvre enfin ! »

L’Opéra de Sydney (Jorn Utzon).
L’Opéra de Sydney (Jorn Utzon). DR

Et le XXIe siècle ?
Aujourd’hui, tout le monde expérimente en produisant des bâtiments plus extraordinaires les uns que les autres. Difficile de deviner celui qui laissera une trace, qui résumera le sens de notre époque.

Le plus bel aéroport ?
Le terminal 1 de Roissy, dessiné par Paul Andreu. Avec son sas central vitré, il représente l’époque où l’on a osé. L’architecture ne doit pas être exclusivement fonctionnaliste mais faire rêver et faire plaisir, comme lorsque Andreu nous fait quitter terre avant même d’être monté dans un avion.

Quelles pistes sont à explorer ?
Les architectes ont beaucoup travaillé sur la forme, ces dernières années, ce que les jeunes générations renient. D’autres ont un positionnement plus social ou expérimentent les nouvelles technologies… Je trouve passionnante cette coexistence d’écoles. Au fond, ce qui compte, c’est que l’architecture serve les humains, leur permette de vivre bien, d’oublier le stress et la dureté de la vie, sans être purement fonctionnaliste.

La maison de vos rêves ?
C’est très compliqué, car les architectes ont toujours les idées en mouvement, donc j’imagine qu’une maison d’architecte serait toujours en devenir. Dès que j’y reviendrais, je voudrais la modifier.

À quelle discipline pourrait-on comparer l’architecture ?
Elle se situe au carrefour de disciplines qu’elle absorbe : l’art, la mode, la physique, la géométrie, la philosophie, la sociologie… C’est ce qui fait sa complexité et son intérêt. C’est pour cela que l’architecture envahit votre vie.

Quel mot rime avec architecture ?
« Aventure ! » Sinon, sans expérimentation ni prise de risque, le monde serait vraiment triste. J’aime être surprise par mes bâtiments. Partir à l’aventure, c’est progresser, aller de l’avant.

La Résidence d’artistes Saint-Ange signée Odile Decq.
La Résidence d’artistes Saint-Ange signée Odile Decq. DR