Scarlet Splendour : Un Indien dans la ville (du design)

En quatre ans, l’éditeur indien Scarlet Splendour s’est fait un nom dans le paysage du design contemporain. Depuis que ses fondateurs, Ashish Bajoria et Suman Kanodia, exposent leurs collections au salon de Milan, cette fratrie incarne l’excellence du made in India artisanal, offrant au passage un véritable espace d’expression aux designers occidentaux.

En avril 2015, quand Ashish Bajoria et Suman Kanodia dévoilent leur première collection de mobilier « Vanilla Noir » au Salon de Milan, ils prennent un certain risque. Scarlet Splendour vient alors de fêter son premier anniversaire après une naissance à Calcutta. Tout sourire, la fratrie encore inconnue présente une luxueuse série de meubles pour laquelle ils ont sollicité le jeune italien Matteo Cibic. S’il est déjà un designer prometteur, ce n’est pas non plus un maître sur lequel ils peuvent miser les yeux fermés. Rétrospectivement, il apparaît évident qu’Ashish et Suman ne s’en souciaient pas outre mesure. Ils avaient suffisamment abattu de travail avec lui pour dissiper les peurs de rigueur.

Signée Matteo Cibic, la coiffeuse « Woman in Paris », de la collection « Vanilla Noir », se décline désormais en version « or ».
Signée Matteo Cibic, la coiffeuse « Woman in Paris », de la collection « Vanilla Noir », se décline désormais en version « or ». Scarlet Splendour

Ashish et Suman se sont lancés dans l’édition avec un profil singulier. Issus d’une famille d’entrepreneurs, l’idée de foncer leur était familière. Ashish est président de Scarlet Splendour tout en dirigeant la société familiale de cordages industriels. Gentleman-farmer épris de bio, de plongée sous-marine et de voitures rapides, c’est un hédoniste patenté, à l’instar de sa sœur Suman, plus investie dans l’architecture d’intérieur et la décoration. Ce qui frappe quand on les rencontre, c’est leur enthousiasme tonique. Frère et sœur se sont fixés une mission claire : donner aux savoir-faire indiens une reconnaissance au-delà du marché intérieur. En faisant travailler des créateurs étrangers, ils savaient qu’ils piqueraient la curiosité aussi bien des amateurs locaux de design étranger que des collectionneurs internationaux de pièces de haute facture. Scarlet Splendour a été bien accueillie en Inde, au point de recevoir très vite un prix pour le travail de Matteo Cibic. Leurs collections correspondent au goût de la clientèle indienne aisée de 2018, des gens qui voyagent mais n’abandonnent pas pour autant les richesses de leur univers esthétique.

Chaises « Orion », autour de la table « Stella », dessinées par Nika Zupanc.
Chaises « Orion », autour de la table « Stella », dessinées par Nika Zupanc. Scarlet Splendour

Le maximalisme de Scarlet Splendour promeut du mobilier à l’évidente opulence sans jamais laisser la porte ouverte au kitsch. C’est bienvenu dans le monde des arts décoratifs, à une époque où certaines manifestations pour l’artisanat d’art donnent l’impression d’être en face d’une collection de cadeaux présidentiels. Scarlet Splendour s’est plutôt senti libre de choisir le plus librement du monde les designers qui lui plaisait, sans céder ni à la mode ni au positionnement marketing. Comme la Slovène Nika Zupanc qui semble chaque année très à l’aise pour développer son univers personnel. Sa collection « 88 Secrets », inspirés de l’univers des 88 constellations de l’espace en témoigne. Pour elle, un cabinet vert pâle ou une armoire rose n’ont rien de déraisonnable. C’est juste le fruit de la rencontre de son univers esthétique et de celui d’un éditeur indien sur un marché international.

Tables « Stella » de Nika Zupanc, en finitions « rose » et « or ».
Tables « Stella » de Nika Zupanc, en finitions « rose » et « or ». Scarlet Splendour

Au dernier salon de Milan, on pouvait encore constater que chez Scarlet Splendour, tout est fait à la main en Inde avec du bois, de la corne, des pigments et des polymères modernes. Des matériaux qui reflètent bien le potentiel technique et artisanal de l’Inde moderne. Pour son bar Monsieur Verdoux, Matteo Cibic a ainsi enveloppé dans un manteau jacquard de corne et de résine noire des bouteilles qui reposent sur du cuir rouge. Son cabinet Le comte prend carrément des airs architecturaux et sa commode A trip to the moon évoque le mobilier français des années 1920, du côté du galuchat d’André Groult. Car Matteo Cibic ose tout. Le designer italien a vraiment laissé libre cours à sa fantasmagorie avec ses tapis, tables ou lampes Naga, ondulant comme un serpent doré.

Canapé en velours « Orion », Nika Zupanc.
Canapé en velours « Orion », Nika Zupanc. Scarlet Splendour

Côté dessiné en interne, on découvre, parmi la dernière collection, du mobilier en laiton doré aux formes pareilles à des courbes de liquide arrêté. L’œil reconnait la trace de la main, de l’œil et du cœur de l’artisan indien et cet effet tremblé fait passer la surface d’une table basse pour celle d’un océan d’or liquide. Dario Contessotto et Mirco Colussi se sont, eux, inspiré du matka indien (une jarre ovoïde) pour dessiner Terra, une grand table culbuto en marbre et laiton à côté du fauteuil Cirrus, comme une création de Jean Royère ayant pris un bain de couleurs. Enfin, Artefatto Design Studio ont montré Snowhite, un canapé en fourrure blanche ultra douillet. Bref, on n’a pas fini d’entendre parler de Scarlet Splendour…

Collection « Snow White » du Artefatto Design Studio.
Collection « Snow White » du Artefatto Design Studio. Scarlet Splendour

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