Noé Duchaufour-Lawrance : « Je suis un électron libre dans ce métier »

Partagé entre Paris et Lisbonne, le designer et architecte d’intérieur français Noé Duchaufour-Lawrance vient de présenter une première collection d’arts de la table pour le porcelainier Revol. L’occasion d’évoquer avec lui son actualité au moment où il tente de redéfinir son approche du métier. La saison qui vient annonce aussi une tendance plus architecturale qu’auparavant à travers des projets américains : un condominium à Jersey City, une propriété dans les Hamptons et un appartement à New York.

Vous avez aussi un projet tourné vers l’histoire.
« Privato Romano Interno », pour Galleria O. Roma, est le projet d’une collection (canapés, étagères…) inspirée de l’œuvre baroque de l’architecte du XVIIe siècle Francesco Borromini. Les designers sollicités par l’éditeur, tels que le duo Formafantasma, devaient travailler autour d’un architecte ou d’un bâtiment lié à l’identité de Rome. J’ai choisi San Carlino alle Quattro Fontane, l’une des églises de Borromini, avec ses belles sculptures placées dans des niches en façade. Présentation bientôt à Rome…

Grand bureau en marbre.
Grand bureau en marbre. Noé Duchaufour-Lawrance

Des projets d’architecture d’intérieur ?
Je me calme vraiment avec l’architecture d’intérieur. Je m’y suis beaucoup consacré. C’est très absorbant et contraignant en matière d’équipes et de structures. On était quinze à l’agence au moment où l’on concevait les boutiques Montblanc. Je ne m’y retrouvais pas. Je n’arrête pas totalement l’architecture d’intérieur, mais je ressens le besoin de me poser un peu. En revanche, je me lance dans l’architecture, avec notamment une maison de 800 m2 dans les Hamptons.

Quid du design aux États-Unis ?
C’est un marché impressionnant pour le contrat… À côté, c’est en train de bouger, d’autant qu’il y a un vrai potentiel. Mais il s’y vend des trucs vraiment terribles ! En même temps, nous n’avons pas à dicter ce qui appartiendrait ou non au bon goût. L’économie diffère aussi d’ici. Tout le monde prend sa marge et, à la fin, pour 150 euros, vous avez un produit pas dessiné ni bien fabriqué. Mais il y en a qui se battent, comme Bernhardt Design, pour produire de la qualité, du beau et du solide.

Banc Catia (Bernhardt Design).
Banc Catia (Bernhardt Design). Noé Duchaufour-Lawrance

Comment voyez-vous le monde du design aujourd’hui ?
Pourrait-on arrêter de se battre pour les mêmes choses, comme on le fait depuis vingt ans ? Pourrait-on essayer de se focaliser sur un design proche de l’humain, c’est-à-dire concevoir des objets qui servent ? Je ne parle pas que de fonction. Cela doit influer sur notre environnement, à l’échelle de la planète. On continue de fabriquer des chaises en plastique, pensant que c’est la solution la moins chère. Notre ingéniosité les a créées. Mais on est encore trop certains que la science va nous sauver de tout. J’aime bien les connexions simples. Je m’y applique : donner naissance à des concepts les plus sincères possible. Je vois malheureusement dans le design un système de « recopiage » qui se perpétue : de plus en plus de designers et de moins en moins de créateurs. Sincèrement, je pense que le design industriel n’est plus la réponse à tous nos besoins.

N’est-on pas en présence d’un conservatisme paradoxalement très moderne ?
Si, parce que c’est facile. Comme une convention contemporaine. Dès que tel code fonctionne, parce qu’on l’a lu dans tel magazine, on le répète sur Internet. Ajoutez-y l’envie d’être repéré sur Instagram, et les produits sortent, presque identiques à ceux présentés dans les cahiers de tendances.

Ce moment de suspension du design, comment le ressentez-vous ?
À l’école, je pense qu’il serait plus judicieux de donner des cours d’histoire du design aux élèves que de leur montrer des planches de références. Ce qui est important pour créer, c’est le socle culturel transmis au designer.

Collection « Ottoman »
Collection « Ottoman » Noé Duchaufour-Lawrance