Tourisme : Singapour, la nature à la verticale

La cité-État, qui se classe 2e au palmarès des pays les plus densément peuplés au monde après Monaco, ambitionne de devenir la ville la plus verte à l’horizon 2030. Puisque la place y est limitée, la végétation grimpe avec les immeubles, prend de la hauteur et reconnecte l’homme avec ses origines. Fascinant…

Singapour compte plus de 3 millions d’arbres pour un peu moins de 6 millions d’habitants. Chaque année depuis 1971, le Tree Planting Day est une occasion pour des milliers d’entre eux d’en mettre de nouveaux en terre. Aujourd’hui, la biodiversité y est plus riche qu’il y a vingt ans, et des espèces menacées telles que les loutres marines reviennent en ville. La cité-État englobe 18 réserves naturelles, dont les magnifiques Jardins botaniques, oasis de 82 hectares étirée en hauteur, créée en 1859 et inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2015. En moyenne, chaque habitant se trouve à moins de 400 mètres d’espaces verts dont la plupart sont reliés entre eux par un réseau de Parks Connectors, voies piétonnes entre terre et canopée.

Les habitants de Singapour vivent tous à proximité de havres végétaux, parfois historiques comme ici les Archives nationales.
Les habitants de Singapour vivent tous à proximité de havres végétaux, parfois historiques comme ici les Archives nationales. Antoine Lorgnier

Parmi ces sentiers aériens, Henderson PC se distingue par le plus haut pont piétonnier de la ville (Henderson Waves, intégré aux Southern Ridges) tandis que Central Catchment PC chemine à travers la réserve du même nom, dont le TreeTop Walk est un point de vue également remarquable. L’étendue de ce réseau, entretenu par le National Parks Board, devrait passer de 200 à 360 km d’ici à 2020. Une piste cyclable de 150 km autour de l’île est également prévue, ainsi que la végétalisation de l’ancienne voie ferrée qui reliait Singapour à la Malaisie. Démantelée en 2010, la ligne devait être transformée en vaste projet immobilier, mais c’était sans compter avec la fibre végétale des Singapouriens, qui se sont ­battus pour la muer en « Green Corridor ».

Le pont Henderson Waves fait partie des Parks Connectors : 200 km de voies piétonnes qui relient les différents espaces verts de de la ville.
Le pont Henderson Waves fait partie des Parks Connectors : 200 km de voies piétonnes qui relient les différents espaces verts de de la ville. Antoine Lorgnier
Construit en acier et en bois à 38 mètres de haut, le pont Henderson Waves relie le Mount Faber Park au Telok Blangah Hill Park.
Construit en acier et en bois à 38 mètres de haut, le pont Henderson Waves relie le Mount Faber Park au Telok Blangah Hill Park. Antoine Lorgnier

La plus belle vitrine verte reste bien évidemment Gardens by the Bay. Ce parc de plus de 100 hectares, conçu par les bureaux d’architecture du paysage Grant Associates et Atelier Ten, accueille le Flower Dome, qui abrite une flore méditerranéenne, et le Cloud Forest, renfermant une forêt tropicale d’altitude : en tout, pas moins de 250 000 ­espèces de plantes rares mises sous cloche. Les déchets végétaux servent à ­alimenter une centrale à biomasse produisant la chaleur et l’énergie utiles aux deux biomes (ou écosystèmes). L’air chaud et humide est quant à lui dirigé vers les 18 ­Supertrees voisins, afin de donner vie à leurs structures extérieures recouvertes de 150 000 plantes et de produire l’énergie nécessaire au son et lumière qui anime le lieu à la nuit tombée.

Gardens by the Bay est la vitrine verte de Singapour. Ce parc de plus de 100 hectares accueille le Flower Dome, qui abrite une flore méditerranéenne, et le Cloud Forest, dont la collection d’orchidées attire une foule nombreuse.
Gardens by the Bay est la vitrine verte de Singapour. Ce parc de plus de 100 hectares accueille le Flower Dome, qui abrite une flore méditerranéenne, et le Cloud Forest, dont la collection d’orchidées attire une foule nombreuse. Antoine Lorgnier

Les jardins eux-mêmes sont dotés d’un système de récupération d’eau de pluie, pour les plantes mais aussi pour alimenter le réservoir d’eau douce de Marina Barrage. Les bâtiments techniques ont été construits avec des matériaux naturels excavés sur le site et recouverts d’un toit végétalisé qui permet de réguler naturellement la température intérieure. Cette politique verte dont Lee Kuan Yew, Premier ministre de Singapour de 1959 à 1990, est à l’initiative a indéniablement porté ses fruits, Singapour se dénommant elle-même « la ville-jardin ».

Tout à côté des deux dômes, les 18 Supertrees de Gardens by the Bay sont, eux aussi, ­progressivement colonisés par la végétation et servent de cadre, à la nuit tombée, à un son et lumière de toute beauté.
Tout à côté des deux dômes, les 18 Supertrees de Gardens by the Bay sont, eux aussi, ­progressivement colonisés par la végétation et servent de cadre, à la nuit tombée, à un son et lumière de toute beauté. Antoine Lorgnier

Mais cela ne suffit plus. En plein boom économique et démographique, la place au sol s’est mise à manquer. En 2009, le gouvernement a donc demandé aux architectes de verdir leurs constructions. Désormais, chaque promoteur a l’obligation de restituer la surface prise au sol en surface végétalisée. Le nouveau slogan à la mode est « More concrete, more green » (plus de béton, plus de verdure), et des mesures incitatives ont été mises en place, comme le label « BCA Green Mark », décerné par la Building & Construction Authority, ou encore le programme Landscaping for Urban Spaces and High-Rises (LUSH), qui a permis de végétaliser 130 hectares de buildings en centre-ville. La plupart de ces réalisations sont assez discrètes : ici, des arbres sur une terrasse ou dans le hall ; là, une pelouse en guise de trottoir. Depuis, les architectes se sont enhardis en créant des espaces verts au milieu des tours en lieu et place d’appartements ou de bureaux. Mais sans perte de volumes pour autant : ce qui a été végétalisé peut être récupéré en hauteur. Et ­l’imagination des maîtres d’œuvre s’est emballée.

Achevé en 2014, le CapitaGreen culmine à 242 mètres de haut derrière une double paroi vitrée qui participe à sa ventilation naturelle.
Achevé en 2014, le CapitaGreen culmine à 242 mètres de haut derrière une double paroi vitrée qui participe à sa ventilation naturelle. Antoine Lorgnier

CapitaGreen, situé en plein cœur du quartier des affaires, est le premier gratte-ciel de bureaux écologique de la ville. Conçue par l’architecte japonais Toyo Ito, cette tour accueille des arbres à tous les étages et un jardin a été installé sur le toit afin de réduire la température à l’intérieur du bâtiment. Le cabinet d’architecture WOHA a, quant à lui, pris l’option d’accrocher de véritables jardins en façade. En témoignent les hôtels Oasia Downtown et Parkroyal on Pickering, tout récemment construits. Pour Phua Hong Wei, architecte et directeur de l’agence WOHA, le fait de végétaliser un bâtiment doit apporter une réelle plus-value : « Mettre du vert pour du vert n’a aucun intérêt. Les bâtiments que nous créons doivent apporter bien d’autres choses à leurs occupants, mais aussi aux voisins, en termes de bien-être, de confort de vie et de sociabilité. Ce n’est pas toujours facile à expliquer car la question du coût entre invariablement en jeu. » 

Avec sa façade végétalisée façon rizière en terrasses, l’hôtel Parkroyal on Pickering, réalisé par l’agence WOHA, est un bel exemple du verdissement des constructions que la ville appelle de ses vœux.
Avec sa façade végétalisée façon rizière en terrasses, l’hôtel Parkroyal on Pickering, réalisé par l’agence WOHA, est un bel exemple du verdissement des constructions que la ville appelle de ses vœux. Antoine Lorgnier

« Mettre un jardin, c’est bien, mais comment faire pour l’arroser ? Qui va l’entretenir ? » poursuit Phua Hong Wei. « Nous devons penser à tout cela et le faire valoir auprès des clients et des habitants. Pour l’hôtel Parkroyal, nous nous sommes inspirés de la technique ancestrale des rizières en terrasses… Nous travaillons aussi avec des paysagistes et des botanistes qui nous conseillent les plantes les plus appropriées. Pour le Parkroyal, toujours, il s’agit de variétés locales ne nécessitant pas beaucoup d’entretien. Pour la façade de l’hôtel Oasia, 21 espèces de plantes grimpantes ont été retenues. Et comme la plupart ne donnent pas de fleurs nous avons eu l’idée de les faire pousser sur une structure en aluminium de couleur rouge orangé qui rappelle de loin une floraison permanente. » Si, à l’ensemble de ces ­façades, on ajoute les terrasses végétalisées des 12e, 21e et 27e étages, le ratio des surfaces vertes de l’hôtel Oasia par ­rapport à l’occupation au sol ­atteint 750 %. Un record !

La façade de l’Oasia Downtown est végétalisée grâce à des espèces de plantes grimpantes ne donnant pas ou très peu de fleurs. Mais la structure rouge orangé de la tour apporte la touche colorée qui évoque la floraison.
La façade de l’Oasia Downtown est végétalisée grâce à des espèces de plantes grimpantes ne donnant pas ou très peu de fleurs. Mais la structure rouge orangé de la tour apporte la touche colorée qui évoque la floraison. Antoine Lorgnier

Tout récent également, le complexe Marina One, conçu par le cabinet allemand Ingenhoven Architects, comprend un jardin tropical intérieur imaginé pour créer un microclimat capable de réduire la consommation d’énergie. Sa conception a été optimisée grâce à des études ­aérodynamiques pour que l’air qui circule entre les tours se rafraîchisse en ­passant au-dessus des arbres et des plans d’eau. En centre-ville, non loin de l’hôtel Oasia, The Pinnacle@Duxton est l’immeuble d’habitation le plus haut du monde. Pour y mettre du vert, les architectes ont eu l’idée de relier les tours par des ponts-jardins installés aux 26e et 50e étages. Pelouses arborées, bancs et équipements sportifs permettent aux habitants de prendre un bol d’air sans quitter leur immeuble et tout en bénéficiant d’une vue sublime sur la ville.

Les tours de The Pinnacle@Duxton, l’immeuble d’habitation le plus haut du monde, sont reliées par des ponts-jardins aux 26e et 50e étages.
Les tours de The Pinnacle@Duxton, l’immeuble d’habitation le plus haut du monde, sont reliées par des ponts-jardins aux 26e et 50e étages. Antoine Lorgnier

D’autres projets de condominiums fleurissent un peu partout sur l’île, à l’instar de SkyVille@Dawson, un ensemble de 960 logements à coût modéré agrémentés de multiples jardins de plein air situés à différents étages. Vers le nord, celui de Tree House est entré dans le Guinness World Records pour être pourvu du plus grand jardin vertical au monde. L’idée est là aussi que les plantes filtrent les rayons solaires pour faire baisser la température intérieure des appartements. Mais, encore une fois, le bilan n’est pas qu’énergétique. Cette verdure accrochée au béton doit aussi reconnecter les habitants avec la nature, recréer ce lien inné qui les unit à elle et qu’ils ont perdu à force de vivre en ville. L’architecture biophilique est née.

Le Tree House, dans le nord de la ville, est doté du plus grand jardin vertical au monde, ce qui lui a valu d’entrer dans le Guinness World Records.
Le Tree House, dans le nord de la ville, est doté du plus grand jardin vertical au monde, ce qui lui a valu d’entrer dans le Guinness World Records. © Finbarr ­Fallon