Notre best-of de la biennale Interieur 2018 de Courtrai

En octobre dernier, la biennale Interieur 2018 de Courtrai, qui fête ses 50 ans cette année, est restée fidèle à l’esprit de ses origines. L’idée d’interdisciplinarité y était sublimée. Et comme cette manifestation, plus culturelle que commerciale, reste à taille humaine, architectes et designers s’y distinguent par leur inspiration mutuelle.

Pour les architectes et les designers, les proportions sont primordiales. Celles de la biennale Interieur 2018 de Courtrai sonnent juste. Pas d’allées sans fin à parcourir ni de halls remplis de bougies odorantes à perte de vue. La biennale est ouverte à tous les publics et, même si les professionnels la fréquentent aussi pour des raisons commerciales, elle se distingue du Salon de Milan ou de Maison & Objet, à Paris, pour être une pause culturelle dans l’agenda des foires. Les stands des marques, belges et internationales, cohabitent avec des installations artistiques et des expositions… que l’on retrouve également dans les rues de la ville. Un sentiment de modernité s’en dégage. Les Belges seraient-ils plus familiers de design et d’architecture que les autres ? Il est vrai qu’en 1968, la biennale Interieur a été fondée par une association à but non lucratif. Sa raison d’être est donc la promotion de la création contemporaine, en dehors des stratégies de marque. Et cet esprit culturel est toujours là.

Une ville dans la ville

Obélisque d’Adam Nathaniel Furman et colonne du Studio Verter.
Obélisque d’Adam Nathaniel Furman et colonne du Studio Verter. Jerroen Verrecht / Sam Gilbert

À l’heure des curateurs stars, la biennale, elle, valorise la scénographie, et ce n’est pas que pour « faire le buzz ». Cette année, c’est le duo d’architectes italo-néerlandais de Studio Verter, à savoir Claudio Saccucci et Roxane Van Hoof, basés à Rotterdam, qui ont aménagé la « place centrale » de la manifestation autour de laquelle les halls d’exposition sont distribués. « Il était important d’avoir de la fluidité dans la circulation », nous expliquent-ils. Les architectes ont donc traité les lieux comme un espace urbain ponctué d’agoras. Les visiteurs pouvaient ainsi s’asseoir au pied de l’obélisque bigarré Lumalisk de 9,5 mètres, du jeune architecte londonien Adam Nathaniel Furman, ou admirer la colonne en acier galvanisé réalisée par Studio Verter. On aime la table ondulante de la boutique Objects with Love, tout comme l’ensemble des objets choisis pour l’occasion par la styliste suisse Connie Hüsser.

Boutique Objects with Love.
Boutique Objects with Love. Jerroen Verrecht

Le designer de l’année

Frederik Delbart, auteur des lampes « The Siblings ».
Frederik Delbart, auteur des lampes « The Siblings ». portrait-de-patricia-goijens / Per/Use

Cette année, le lauréat s’appelle Frederik Delbart. Ce jeune designer industriel installé à Bruxelles et à Hasselt a été élu par un jury ciblé : deux directrices de musée, Marie Pok, du Centre d’innovation et de design au Grand-Hornu, et Katrien Laporte, du musée du Design de Gand, et deux rédactrices en chef, Delphine Kindermans, du Vif Weekend, et Ruth Goossens, de Knack Weekend. Dirk Van den Storm, le directeur de la création de la biennale, fermait le ban. Pas question de choisir une star, même montante, dans le seul but de valoriser la manifestation : distinguer Frederik Delbart relevait de la volonté de faire connaître son travail. Découvrir ce designer mène par exemple chez l’éditeur de luminaires belge Per/Use, où les lampes The Siblings et The Lovers subliment l’élégance du verre, transparent ou coloré, combiné parfois avec du bois. Son prix à peine reçu, le créateur a souligné le travail des ouvriers et des artisans qui ont signé les scrupuleux détails de finition de ses grandes tables en bois. Celui qui a aussi conçu un aquabike, Biqua, exprime, comme beaucoup de ses pairs, un réel amour des matériaux, qu’il met au service d’un design exsudant l’honnêteté… Une façon de s’inscrire dans son époque en concevant des objets utiles et beaux, loin des affres de la communication outrée.

Suspension « The Lovers », Frederik Delbart.
Suspension « The Lovers », Frederik Delbart. Per/Use

Objets de désir

Sébastien Cluzel et Morgane Pluchon, récompensés pour la lampe « Dorval ».
Sébastien Cluzel et Morgane Pluchon, récompensés pour la lampe « Dorval ». Portraits des designers par Christelle-Boule

Pour un architecte curieux du travail de ses contemporains, la fluidité de l’espace de la biennale permettait de se promener le nez au vent pour tomber sur du design passé au tamis d’une rigoureuse sélection. Pas de tendance univoque dans l’espace « Objects », où étaient exposés les projets de designers en lice pour les Interieur Objects Awards 2018, qui témoignaient d’un métier déjà très affûté. Tel celui des auteurs de la lampe Dorval, Sébastien Cluzel et Morgane Pluchon, les Français de SCMP Design Office (photos du haut), qui ont profité de l’occasion pour annoncer que l’éditeur canadien Lambert & Fils allait éditer leur lampe. « Nous l’avons d’abord conçue pour une galerie, en nous inspirant du monde de l’aviation. Cette lampe est multiorientable, comme l’éclairage au bord des pistes. Et comme elle est en aluminium, elle ne chauffe pas », décrypte Sébastien. Également primé, le Belge Bram Kerkhofs pour ses élégantes armoires Coil dont le fond et les portes sont constitués de Sandowsen caoutchouc et de polyéthylène. À noter, la présence du Paradosso, de Pierre-Emmanuel Vandeputte, un étonnant dossier en cuir fait pour reposer son corps en n’étant ni vraiment assis ni complètement debout.

Armoires « Col » de Bram Kerkhofs.
Armoires « Col » de Bram Kerkhofs. Jeroen Verrecht

Un créateur à ma table

Paul Vaugoyeau et Julien Renault.
Paul Vaugoyeau et Julien Renault. Julien Renault

À la biennale, qui revendique une certaine idée d’un design accessible à tous, même les restaurants étaient confiés à des designers et à des chefs. D’où la foule attablée, longuement, au Café Gyproc. Celui-ci a d’ailleurs valu un Spaces Award à ses designers, Julien Renault, Français de Bruxelles, et Paul Vaugoyeau, son compatriote basé à Stockholm . Les deux créateurs ont conçu un charmant café avec terrasse en utilisant des matériaux simples et bruts, à l’esprit « chantier ». Au restaurant Geofood, les Espagnols de Raams Studio, German Roig et Natalia Moreno, ont réalisé, avec des matériaux recyclés, une maison blanche dans un esprit cave à vins un rien troglodyte. Enfin, le trio tchèque composé de Matyas Molnar, Maros Somora et Christian Vajda a su donner à son Bar Open, l’identité d’une vraie adresse cachée, invisible de la rue, à découvrir.

La terrasse du Café Gyproc.
La terrasse du Café Gyproc. Jeroen Verrecht