Rétrovision : Il était une fois Alessandro Mendini (1931-2019)

L’architecte et designer italien s’est éteint le 18 février dernier. Parmi les pointures du design qui déplorent la perte de sa sensibilité unique, Rossana Orlandi et Marcel Wanders lui ont chacun dédié une installation lors du dernier salon du meuble. La disparition d’un tel maestro incite la discipline à s’interroger…

Même à 87 ans, Alessandro Mendini ne s’était jamais arrêté. Avec son frère Francesco, architecte lui aussi, ils cumulaient, à eux deux, cent ans de culture archi-design. C’était un intellectuel à la sensibilité presque enfantine. Oui, enfantine ! Car la première pièce du puzzle réside dans une enfance passée dans l’hôtel particulier familial, bijou Art déco milanais commandé par les Boschi-Di Stefano à l’architecte Piero Portaluppi, l’auteur de la fameuse Villa Necchi. Campiglio Le lieu est aujourd’hui devenu un musée.

Alessandro Mendini dans son atelier.
Alessandro Mendini dans son atelier. Atelier Mendini

Dans ces mêmes murs, Antonio Boschi, l’oncle d’Alessandro, ingénieur, a le dépôt de brevet facile. Marieda Di Stefano, sa femme, collectionne et reçoit de grands peintres. Le jeune Alessandro Mendini voit tout et ne se spécialise dans rien, pas même dans l’architecture, étudiée au Politecnico. C’est pourtant son Groninger Museum, inauguré en 1994 aux Pays-Bas et pour lequel il a invité, notamment, Michele De Lucchi, Philippe Starck et Coop Himmelb(l)au à collaborer avec lui, qui l’a rendu célèbre dans le monde entier.

Le musée de Groninge (Pays-Bas, 1984).
Le musée de Groninge (Pays-Bas, 1984). Wikimedia / Henk Monster

Côté design, c’est son fauteuil Proust, édité dans un premier temps par Cappellini, qui fait sensation dès 1978. Cette bergère pointilliste aux allures Régence est suivie, en 1983, d’une autre icône, le tire-bouchon Anna G. pour Alessi, marque dont il a été directeur artistique. Deux projets à vingt ans d’écart, Tea and Coffee Piazza puis Tea and Coffee Towers, ont montré qu’il était possible de créer des objets comme on crée de l’architecture.

Le fantasme ultime des archidandys du design, c’est le fauteuil Proust de l’architecte et designer italien Alessandro Mendini (Magis).
Le fantasme ultime des archidandys du design, c’est le fauteuil Proust de l’architecte et designer italien Alessandro Mendini (Magis). DR

Au Groninger Museum, Mendini a d’ailleurs aussi montré l’inverse : de l’architecture conçue comme un objet. Le maître était prolifique. Avec trois Compasso d’Oro sur ses étagères, il représentait l’Italie intellectuelle, celle qui crée sans relâche. Attiré par les débats critiques, il a d’ailleurs délaissé l’architecture pour le journalisme, devenant rédacteur en chef de Casabella (1970-1976), de Modo (1977-1979) et, enfin, de Domus (1979-1985 puis 2010-2011).

Tire-bouchons Anna G (Alessi, 1994).
Tire-bouchons Anna G (Alessi, 1994). Alessi

Lui qui détestait l’idée d’ouvriers-robots encourageait par ses objets la créativité des artisans. La sienne pétillait, faisant fi de l’aspect décoratif. Considérant le design comme un langage, il l’a transformé en aventure culturelle, commençant par faire de l’agit-prop pour la contreculture du design (son fauteuil Proust qui marie les formes d’une bergère traditionnelle avec la technique de peinture pointilliste) avant de s’adonner à sa discipline dans et en dehors du système, non sans ironie.

Alessandro Mendini (1931-2019).
Alessandro Mendini (1931-2019). © CARLO LAVATORI