Tourisme : Tanger, fascinant puzzle architectural

Dominant le détroit de Gibraltar, la ville diplomatique séculaire a lentement mûri, fusionnant un melting-pot de styles ensorcelants. Tanger Med, l’ambitieux complexe portuaire international construit 40 km à l’est, lui a donné un coup d’accélérateur. Son profil remodelé, urbanisé, industrialisé, est désormais en pleine expansion.

À 15 km de la pointe sud de l’Espagne, à la jonction de l’Atlantique et de la Méditerranée, Tanger occupe depuis des siècles une place de premier plan dans les échanges commerciaux entre l’Afrique du Nord et le monde. Au VIIe siècle avant J-C, déjà, dans la baie sertie entre collines et forêts d’eucalyptus, les Phéniciens installent un comptoir et une nécropole encore visible sur la corniche. Les Romains y laissent à leur tour des traces importantes et leurs vassaux berbères s’en serviront plus tard comme d’un pont vers l’Andalousie.

Dégringolant en escaliers vers la mer, les maisons cubiques blanches typiques de la médina sont surlignées de rose, de turquoise ou de vert et figurent le socle le plus ancien de Tanger. Du haut des terrasses, le panorama s’étend en un méli- mélo architectural où apparaissent divers styles, toits plats, églises, minarets, immeubles récents, collines et jardins d’eucalyptus.
Dégringolant en escaliers vers la mer, les maisons cubiques blanches typiques de la médina sont surlignées de rose, de turquoise ou de vert et figurent le socle le plus ancien de Tanger. Du haut des terrasses, le panorama s’étend en un méli- mélo architectural où apparaissent divers styles, toits plats, églises, minarets, immeubles récents, collines et jardins d’eucalyptus. Nicolas Krief pour IDEAT

Mais le XVe siècle sonne l’heure de la soumission au Portugal, à l’Espagne puis à l’Angleterre, qui reçoit la ville dans une corbeille de mariage royal en 1661. Rien ne dure jamais, aussi, Tanger, reprise en 1684 par le sultan du Maroc, Moulay Ismaïl, sera reconstruite vers 1687 : en découle l’actuelle casbah, partie militaire et administrative au faîte de la médina, le socle le plus ancien, mais toujours bien vivant et avec une mixité sociale surprenante. Enfin, en 1786, Tanger est promue capitale diplomatique du royaume chérifien. Siège de nombreuses légations, elle gagne en 1923 le statut de zone internationale, gérée par une dizaine de pays dont aucun ne veut perdre le contrôle du stratégique détroit de Gibraltar !

Bab al-Bahr, la « porte de la mer », un héritage portugais du XVe siècle.
Bab al-Bahr, la « porte de la mer », un héritage portugais du XVe siècle. Nicolas Krief pour IDEAT

« Son architecture va alors emprunter à ces somptueuses légations en favorisant une silhouette moderne et un mode de vie plus occidental. À la fin du XIXe siècle, les habitations comportent de grandes fenêtres et des balcons sur la rue. Elles vont d’abord s’adosser aux remparts de la médina avant de s’étaler sur le littoral en dessinant différents quartiers internationaux », explique Rachid Tafersiti, président de l’association du patrimoine Al-Boughaz et auteur du beau livre Tanger, réalités d’un mythe (Zarouila, réédition en 2013). Itaf Benjelloun, une architecte d’intérieur ayant oeuvré à de scrupuleuses rénovations, enrichit d’ailleurs ce propos : « Contrairement à Casablanca, Tanger n’offre pas une architecture expérimentale, mais des copies parfaites. On peut facilement confondre un bâtiment du XVIIIe siècle et un autre du XIXe. »

Rachid Tafersiti, président de la très active association du patrimoine Al-Boughaz, qui défend l’héritage architectural tangérois dans toute sa diversité.
Rachid Tafersiti, président de la très active association du patrimoine Al-Boughaz, qui défend l’héritage architectural tangérois dans toute sa diversité. Nicolas Krief pour IDEAT

De nos jours, les réalisations contemporaines arrivent à se fondre dans cet ensemble au point où il est franchement difficile de dater certaines constructions, dont l’allure puise clairement dans l’inconscient collectif en imitant des styles largement antérieurs. En fait, chacun a ici apporté sa pierre. Un rien agacé, l’écrivain et diplomate Paul Morand relevait même que, dans cette « fiction diplomatique », l’électricité était espagnole, les égouts anglais et les tramways français ! Mais ce sont surtout les courants architecturaux, piochés à travers différentes cultures et époques, qui signent la singularité tangéroise.

Le bâtiment des « terrasses » Renschhausen date de 1916. Il vient d’être sauvé de la destruction. Installé dans l’ex-avenue d’Espagne – désormais le boulevard Mohammed-VI, qui démarre face à la mer, au sud-est de la médina, pour s’étendre sur une grande partie de la baie de Tanger –, il fut la légation d’Allemagne et l’une des résidences de Guillaume II.
Le bâtiment des « terrasses » Renschhausen date de 1916. Il vient d’être sauvé de la destruction. Installé dans l’ex-avenue d’Espagne – désormais le boulevard Mohammed-VI, qui démarre face à la mer, au sud-est de la médina, pour s’étendre sur une grande partie de la baie de Tanger –, il fut la légation d’Allemagne et l’une des résidences de Guillaume II. Nicolas Krief pour IDEAT

Ce patchwork brasse en effet islamisme, orientalisme, Art déco, modernisme, Bauhaus, expressionnisme, baroque… Ou encore rococo prussien, si l’on se réfère aux « terrasses » Renschhausen (1916), dans l’ex-avenue d’Espagne, devenue boulevard Mohammed-VI. Cette ancienne légation d’Allemagne, sous l’empereur Guillaume II, vient d’échapper à la destruction grâce à une poignée d’amoureux irréductibles. De même qu’un grand-père en djellaba et babouches peut croiser au détour de la médina un ado en jogging et baskets, une magnifique porte maure blanche ciselée, séculaire, dialogue parfaitement avec le décor en mosaïque bleu piscine du marché aux poissons voisin, typiquement fifties.

Toujours en pleine agitation, le très fonctionnel marché aux poissons a perdu le nom de son architecte, mais pas son style 1950, imprimé dans ses colonnes en mosaïque bleue et sa silhouette en dôme.
Toujours en pleine agitation, le très fonctionnel marché aux poissons a perdu le nom de son architecte, mais pas son style 1950, imprimé dans ses colonnes en mosaïque bleue et sa silhouette en dôme. Nicolas Krief pour IDEAT

Les Portugais construisent au XVe siècle Bab al-Bahr, la « porte de la mer », une arche fameuse dans la muraille (classée), tandis que, un rien défraîchi, le mythique hôtel Continental (1870) continue de séduire avec son modernisme hispano-mauresque et ses terrasses donnant sur la baie. Au tournant des années 1900, les communautés espagnoles et juives font appel à l’architecte Diego Jiménez Armstrong. Celui-ci bâtit pour elles le prestigieux Grand-Théâtre Cervantès (1913), aujourd’hui en guenilles, avec ses sculptures en façade signées de l’artiste sévillan Cándido Mata Cañamaque. Le prolifique Diego Jiménez Armstrong réalise, en plus, des séries d’immeubles Art nouveau, ou même des cafés, dont le Tingis, rendez-vous apprécié place du Petit-Socco.

Place du Petit-Socco, haut lieu de la branchitude tangéroise, le café Tingis, conçu par l’architecte Diego Jiménez Armstrong, existe depuis 1910 environ.
Place du Petit-Socco, haut lieu de la branchitude tangéroise, le café Tingis, conçu par l’architecte Diego Jiménez Armstrong, existe depuis 1910 environ. Nicolas Krief pour IDEAT

L’Américain Stuart Church, lui, édifie des villas privées et le trendy El Morocco Club, où le tout-Tanger dîne désormais dans un décor conçu par Yves Taralon. Quant aux Italiens, ils ont pavé la ville et les allées de marbre de Carrare. Toujours au tournant du XXe siècle, des réalisations françaises s’invitent dans le paysage, telles que l’hôpital Al-Kortobi (encore en activité) ou le lycée Regnault (1913, architectes : Desforges et Rousseau), flanqué de sa villa mauresque avec jardin de palmiers, réservée, le croirez-vous… au proviseur.

Y ALLER

Voyageurs du Monde propose un week-end de 4 jours et 5 nuits à Tanger, avec détour par Asilah (1 h de route). Un moment original, ludique et, surtout, très privé, car des insiders (initiés) passionnés jouent les guides et poussent pour vous toutes les portes, y compris celles d’ateliers d’artistes. Réputé pour son service sur mesure, ses hébergements choisis, sa conciergerie sur place en cas de besoin, le voyagiste peut décliner ce séjour selon vos envies. > Voyageursdumonde.fr