Interview : Isay Weinfeld, l’architecte cinéaste

Si les maîtres du modernisme brésilien, Oscar Niemeyer en tête, ont profondément marqué l’histoire de l’architecture du XXe siècle, on connaît moins la scène contemporaine. Isay Weinfeld, 67 ans, fait partie de ceux qui ont su s’émanciper de cet héritage parfois pesant et se forger une renommée internationale. Ses réalisations sonnent comme un juste équilibre entre une écriture franche, l’exaltation du contexte tropical et une relation directe à l’extérieur. Prolifique, Isay Weinfeld est architecte mais aussi cinéaste. Il parle rarement de son travail mais, depuis São Paulo, où il vit, il a bien voulu répondre aux questions d'IDEAT.

 

Comment décririez-vous la philosophie de votre agence ?
Isay Weinfeld : Elle repose sur deux piliers : le respect du client et celui du site sur lequel nous construisons. Car, le plus important dans un bâtiment, c’est qu’il réponde aux souhaits et aux besoins des commanditaires, et qu’il établisse un dialogue tranquille avec son environnement. Si, techniquement, chaque projet est le résultat d’une équation combinant programmation, localisation, législation, budget et délais, c’est auprès du client que nous puisons l’inspiration nécessaire pour – d’un point de vue symbolique, certes, mais tout aussi primordial – lui imprimer une identité, que ce soit une maison, un magasin, un hôtel, un centre culturel ou encore l’intérieur d’un appartement.

L’Instituto Ling, un centre culturel signé Isay Weinfeld réunissant des salles de cours, un auditorium, un espace d’exposition, une galerie commerciale… (Porto Alegre, Brésil, 2014).
L’Instituto Ling, un centre culturel signé Isay Weinfeld réunissant des salles de cours, un auditorium, un espace d’exposition, une galerie commerciale… (Porto Alegre, Brésil, 2014). © LEONARDO FINOTTI

La relation avec l’extérieur apparaît fondamentale dans votre approche de l’architecture. Pour quelle raison ?
Je pense que c’est une question de bien être. J’aime l’idée de contempler le paysage longuement. Ou de prolonger l’espace dans toutes les directions.

Quelles sont vos principales sources d’inspiration ?
Tout ce que je vois, tout ce que j’expérimente, tout ce qui m’entoure m’inspire d’une certaine façon. J’ai le sentiment que l’ensemble est absorbé, canalisé et stocké quelque part dans mon esprit. Ces choses finiront par ressortir, d’une manière aussi imperceptible qu’elles sont entrées. L’inspiration n’est pas un phénomène conscient. Je ne la recherche pas dans un livre ou en regardant un film. Ni délibérément. La conception, en revanche, est pour moi un mécanisme très conscient. Quand je développe un projet, je garde en permanence à l’esprit le client et les conversations que nous avons eues ensemble. Je commence toujours par de nombreuses rencontres et discussions avec les commanditaires pour envisager toutes les possibilités, jusqu’à ce que je trouve le fil conducteur qui me guidera tout au long de la conception. Je ne peux pas démarrer un projet sans cela, c’est impossible.

Villa Geneses (São Paulo, 2011).
Villa Geneses (São Paulo, 2011). © FERNANDO GUERRA

Comment votre culture influence-t-elle votre architecture ?
Le Brésil est riche de merveilles et de talents multiples, que ce soit dans la nature, les arts, la danse, la musique, la littérature… Les gens y sont chaleureux et travailleurs mais vivent malheureusement des temps très pénibles. Je suis brésilien, et mon pays est profondément enraciné en moi. Il est tout à fait naturel que cela se reflète d’une manière ou d’une autre dans mon travail. Cependant, je ne choisis ni ne dessine aucun élément dans l’unique but de créer une atmosphère ou un style brésilien.

A gauche, le B Hotel de Brasilia, dont Isay Weinfeld a conçu à la fois l’architecture et l’aménagement intérieur (Brasilia, 2018). A droite, immeuble résidentiel La Petite Afrique (Monte-Carlo, 2017).
A gauche, le B Hotel de Brasilia, dont Isay Weinfeld a conçu à la fois l’architecture et l’aménagement intérieur (Brasilia, 2018). A droite, immeuble résidentiel La Petite Afrique (Monte-Carlo, 2017). © FERNANDO GUERRA

Pour ne pas tomber dans l’écueil du pittoresque ?
Je ne suis pas favorable à l’idée de la « brésilianité », ni à une architecture étiquetée « brésilienne ». Je ne me bats pas pour ça dans mon travail. Mais, si la conception et la commande le justifient, j’utiliserai tout ce qui, selon moi, conférera au projet le sentiment « brésilien » nécessaire. Tel a été le cas quand j’ai travaillé pour Havaianas, une marque brésilienne marquée par un fort esprit tropical (dont on connaît les célèbres tongs, notamment, NDLR). Dans ces circonstances, c’était tout à fait approprié.

Comment composez-vous avec l’héritage du modernisme brésilien ?
Avec beaucoup de respect, car il y a énormément à apprendre. En tant qu’architectes brésiliens contemporains, notre défi est d’en tirer les leçons pour faire des propositions qui reflètent notre époque.

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