Rétrovision : Pierre Guariche, éclairiste après tout

Pierre Guariche a inventé autant de luminaires qu’il existe d’usages, révolutionnant le genre et clouant le bec de tous ceux qui pensaient que les décorateurs circa fifties n’étaient bons qu’à meubler.

Les lampes May Day (1999) de Konstantin Grcic et Cosmic Leaf (2009) de Ross Lovegrove sont les derniers luminaires icônes qui ont marqué l’histoire du design contemporain. La première est peu chère et diffuse une lumière directionnelle ; la seconde, un halo d’ambiance grâce à ses LEDs. Produites en grandes séries, toutes d’eux affichent une forme simple, voire archétypale. Au début des années 1950, les suspensions, lampes à poser et lampadaires de Pierre Guariche ont toutes ces qualités, l’émotion de la première fois en sus.

Le plafonnier « G13 » est composé d’une grille en métal perforé et d’un dispositif en verre, au sein duquel se diffuse la lumière (Sammode).
Le plafonnier « G13 » est composé d’une grille en métal perforé et d’un dispositif en verre, au sein duquel se diffuse la lumière (Sammode). Morgane Le Gall

Le public visé était large, alors que celui de Serge Mouille (redécouvert en même temps, il y a vingt ans) suivait les préceptes du design japonais prêchés par la galerie Steph Simon. Si le statut « culte » de ce dernier n’a pas atteint avec autant d’évidence Pierre Guariche, c’est que l’esthétique précoce de ses lampes a influencé d’emblée une bonne partie de la production bon marché française qui, dès les sixties, l’a détournée pour lui donner une dimension pop. Décorateur connu pour ses assises, diplômé de l’ENSAD, ancien de chez Marcel Gascoin, autoproducteur pour la prestigieuse galerie MAI, célébré au Salon des artistes décorateurs et à celui des arts ménagers, Pierre Guariche arrive chez les éditeurs Airborne et Steiner à partir de 1951.

Chaise « Tonneau » de Pierre Guariche.
Chaise « Tonneau » de Pierre Guariche. Jean-Marc Wullschleger

Les luminaires G1, ses chaises Tonneau, puis Vallée blanche deviennent ses best-sellers, soutenus par des ensembles complets d’ameublement aux rangements modulables. Passée sa période ARP (Atelier de recherche plastique où il crée sous son nom avec Michel Mortier et Joseph-André Motte), Guariche prend la direction artistique de la société belge Meurop dès 1957 et réalise l’importance d’inventer du mobilier à prix doux et pour tous. L’application de cette règle au luminaire lui permet vite de toucher le point G du commerce : succès critique et public.

Fauteuil « Vallée Blanche » de Pierre Guariche (1962).
Fauteuil « Vallée Blanche » de Pierre Guariche (1962). Courtesy Galerie Pascal Cuisinier

G1, G3, G5… Identifiables d’une lettre et d’un numéro, les luminaires de Pierre Guariche conjuguent légèreté et aérodynamisme à l’heure des premiers mobiles de Calder et des avions Boeing, avec l’usage de matériaux comme la tôle, des détails (doré, laiton poli, canon de fusil, chrome) et des coloris en vogue dans les années 1950 (jaune, rouge, blanc et noir), le tout fabriqué par la société Disderot.

Appliques « G1 » (1951) et « G5 » (1955).
Appliques « G1 » (1951) et « G5 » (1955). DR

Ex-marchand des Puces devenu galeriste, Pascal Cuisinier présentait en 2012 une sélection exhaustive de ses pièces autrefois produites et vendues sur catalogue. Une expo dont la scénographie mettait en exergue sa volonté très moderne de présenter les séries en collections, ajoutée à la constance et la diversité de sa production. « La particularité de son travail est l’unité de conception, de temps et d’éditeur, tandis que ses réalisations pour Steiner ou Meuble TV demandaient tous des interventions diverses », précise-t-il.

Lampadaire « G30 ». A l’image d’une voile de bateau, sa voile en tôle perforée laquée blanche invite le regard à l’évasion.
Lampadaire « G30 ». A l’image d’une voile de bateau, sa voile en tôle perforée laquée blanche invite le regard à l’évasion. Morgane Le Gall

Le modèle le plus rare ? Assurément le G23 à double balancier. En plat de résistance ? L’applique G25 (en couverture) et ses trois modes d’éclairage à partir d’une même source lumineuse : direct vers le bas, indirect vers le haut et réfléchi. La plus recherchée ? « G15, qui apparaît deux fois par an environ sur le marché international des ventes publiques. » Les ovnis ? La table lumineuse G60 en Plexiglas et la lampe Coffee Break, enfant tardif des 80’s. Si certains fabricants américains n’hésitent pas à proposer des copies, le Français Sammode leur coupe désormais l’herbe sous le pieds avec une série de rééditions officielles de ses luminaires emblématiques.

Lampadaire « G23 » à double balancier (1951).
Lampadaire « G23 » à double balancier (1951). DR
Pierre Guariche (1926-1995).
Pierre Guariche (1926-1995). DR

 

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