Tourisme : Sur la côte portugaise, éloge de la lenteur à Comporta

Le regard, à Comporta, porte loin. Pas de villes ni de reliefs pour l’entraver. Les marais, landes, pinèdes et plages s’étirent à perte de vue. Mais Comporta, microvillage portugais posé à l’extrême ouest de l’Alentejo, a fait du vide et du plat ses plus grandes richesses. Au point que les discrets jet-setteurs le plébiscitent. Un Saint-Tropez de l’Atlantique ? Surtout pas. Ruraux, arides, presque austères, Comporta et ses environs s’interdisent toute frénésie et semblent au contraire faire l’éloge de la lenteur et de la tempérance.

A Comporta, c’est l’âpreté des teintes qui vous saisit d’abord. De grands aplats d’herbes jaunies assommés de lumière. Des labours bruns à n’en plus finir. Des marécages grisonnants où rien ne bouge. C’est l’immensité et l’immobilité, ensuite, qui vous donnent ici le vertige (et tant pis si l’on est proche du zéro d’altitude). Comme si le monde entier n’était plus qu’une gangue de ciels, de terres et d’eaux bien trop vaste pour vous seul (car oui, ici, vous êtes souvent seul au monde).

Au bord du delta du Sado, les pieds dans la lagune, les pêcheurs du village de Carrasqueira ont construit un ensemble immémorial, merveilleux, de cabanes et de pontons sur pilotis. Ce Cais Palafítico («quai sur pilotis »), à l’heure du coucher de soleil, est devenu la plus courue des attractions touristiques.
Au bord du delta du Sado, les pieds dans la lagune, les pêcheurs du village de Carrasqueira ont construit un ensemble immémorial, merveilleux, de cabanes et de pontons sur pilotis. Ce Cais Palafítico («quai sur pilotis »), à l’heure du coucher de soleil, est devenu la plus courue des attractions touristiques. Didier Delmas pour IDEAT

Alors un rien, dans ce pays nu, vous égaye l’oeil et l’esprit. Voici qu’une fermette blanche, solitaire elle aussi, pointe le bout de son toit de tuile au bout d’une lande ? Pour un peu, vous éprouveriez des sentiments fraternels et sororaux à son endroit. Des peupliers bien en rang qui bordent un chemin ? Leurs verts sombres et leurs reflets argentés vous font l’effet d’une explosion chromatique. Et l’on ne vous parle pas (car sinon, vous frôleriez l’extase de trop près) de ces bosquets de pinède, de ces vallons secrets en pente douce où pousse la vigne, ni de ces dunes au pied desquelles se dévoilent des plages infinies de sable blanc.

On doit à Miguel Câncio Martins, architecte de la nuit, l’aménagement du Buddha Bar, emblème du Paris des années 90. Il est aussi l’architecte de la Quinta da Comporta (photos) ainsi que de l’hôtel Sublime Comporta, à quelques kilomètres de là.
On doit à Miguel Câncio Martins, architecte de la nuit, l’aménagement du Buddha Bar, emblème du Paris des années 90. Il est aussi l’architecte de la Quinta da Comporta (photos) ainsi que de l’hôtel Sublime Comporta, à quelques kilomètres de là. Didier Delmas pour IDEAT

On appelle ce pays Comporta, mais c’est un abus de langage. Comme si l’on disait « Arcachon » en éludant le bassin tout autour. Il y a un bassin, ici aussi, ou plutôt une lagune. C’est le delta du fleuve Sado, au contact de l’Atlantique, qui la dessine et c’est à son voisinage qu’une poignée de villages ruraux ont éclos : Alcácer do Sal, Carrasqueira, Carvalhal, Melides et puis Comporta, l’épicentre du coin, qui trône sans fanfaronnade au beau milieu d’un paysage de rizières, tout plat, rude, où les moustiques pullulent.

Longilignes, les bâtisses qui constituent la Quinta da Comporta génèrent des jeux de perspective et de lumière.
Longilignes, les bâtisses qui constituent la Quinta da Comporta génèrent des jeux de perspective et de lumière. Didier Delmas pour IDEAT

Christina Bravo, qui chapeaute la Maison de la culture locale – une institution qui mêle expositions d’artistes locaux, ateliers culinaires et marché de produits locaux – n’en est pas moins lyrique quand il s’agit d’évoquer ce cadre : « Au fil des saisons, les rizières me font l’effet de tableaux vivants. Leur mise en eau, au printemps, est fascinante : ce sont des miroirs. Elles deviennent vert pomme, ensuite, lorsque germe le riz. Puis s’assèchent peu à peu jusqu’à l’automne, quand, enfin, on les brûle… » Ajoutons qu’en hiver, elles luisent d’un noir fantomatique, lisses par endroits, striées à d’autres, de vrais « tableaux vivants », en effet, qui n’ont rien à envier aux toiles de Soulages. S’étonnera-t-on que les artistes austères et cérébraux se sentent ici chez eux ?

Dans cette ancienne écurie (« cavalariça » en portugais), le chef Bruno Caseiro, ici entouré de son équipe jeune et stylée, nous affole le palais sans esbroufe. Avec un je-ne-sais-quoi de corsé, les produits de la mer et de la terre s’offrent dans leur plus simple appareil.
Dans cette ancienne écurie (« cavalariça » en portugais), le chef Bruno Caseiro, ici entouré de son équipe jeune et stylée, nous affole le palais sans esbroufe. Avec un je-ne-sais-quoi de corsé, les produits de la mer et de la terre s’offrent dans leur plus simple appareil. Didier Delmas pour IDEAT

L’Allemand Anselm Kiefer, dont les sculptures livrent avec la matière et l’histoire de puissants corps-à-corps, se ressource régulièrement à Comporta. Jason Martin, ponte anglais de la peinture contemporaine, s’est aménagé, lui, deux ateliers dans les environs : l’un dans une ancienne discothèque de Melides, où seuls dansent ses pinceaux désormais, l’autre au milieu d’un marais, cerné par les roseaux. Il y façonne des paysages abstraits, monochromes, creusés de petits sillons et bosselés de sensuels renflements – et toute ressemblance avec la nature d’ici n’est évidemment pas fortuite… Parmi les sommités mondiales qui se sont amourachées du coin, il faudrait encore mentionner Jacques Grange, Philippe Starck, Vincent Van Duysen, entre autres stars de la déco, qui possèdent ici des pied-à- terre, ou encore Madonna, star parmi les stars et cavalière émérite, qui galope quand ça lui chante sur ces longs bords de mer.

Marta Mantero, décoratrice, tient l’une des échoppes les plus désirables de Comporta, où les artisanats et le design portugais ont la part belle.
Marta Mantero, décoratrice, tient l’une des échoppes les plus désirables de Comporta, où les artisanats et le design portugais ont la part belle. Didier Delmas pour IDEAT

Alors, Comporta et ses alentours, si silencieux, si reculés (et en même temps si proches de Lisbonne, à moins de deux heures de route au nord), voient depuis quelques années leur cote flamber. Vous noterez d’ailleurs, aux abords des plages du Pego et de Comporta, ces ballets de 4×4 et pick-up rutilants desquels descendent, hâlés comme il faut, surfs et cabas griffés sous le bras, des jeunes gens très aisés qui déjeuneront probablement, «à l’heure espagnole», d’un poisson grillé au Comporta Café ou chez Sal, chères et chics paillottes avec vue sur mer, nichées au creux des oyats.

Sal, la plus courue des paillottes, là où viennent déjeuner les jeunes gens bon teint et les retraités millionnaires, il faut la chercher au creux des dunes de la plage du Pêgo. Là, on découvre une terrasse habillée de tissus rayés et d’assiettes dépareillées, et puis une carte toute simple (mais pas donnée), où les mets iodés jouent les grandes vedettes.
Sal, la plus courue des paillottes, là où viennent déjeuner les jeunes gens bon teint et les retraités millionnaires, il faut la chercher au creux des dunes de la plage du Pêgo. Là, on découvre une terrasse habillée de tissus rayés et d’assiettes dépareillées, et puis une carte toute simple (mais pas donnée), où les mets iodés jouent les grandes vedettes. Didier Delmas pour IDEAT

D’aucuns comparent la région au Cap-Ferret ou aux Hamptons, entre autres villégiatures océaniques et argentées ? Il y a de cela. Au point que les greniers, les anciennes granges et écuries qui longent l’artère principale du village de Comporta, la rua do Secador, ont presque tous muté en boutiques de vêtements qui semblent toutes vouloir nous relooker en créature bohème échappée de l’Ibiza des seventies – djellabas, batiks et broderies y font loi.

Les vieux brocanteurs de la Loja do Julio (« la boutique de Julio ») se sont installés un peu à la diable à la sortie du village de Carvalhal. En farfouillant sur leurs stands, on dénichera de drôles de faïences alentejanaises, des chaises de jardin sixties ou des boîtes à bijoux surannées.
Les vieux brocanteurs de la Loja do Julio (« la boutique de Julio ») se sont installés un peu à la diable à la sortie du village de Carvalhal. En farfouillant sur leurs stands, on dénichera de drôles de faïences alentejanaises, des chaises de jardin sixties ou des boîtes à bijoux surannées. Didier Delmas pour IDEAT

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