Portrait : 8 photographes qui subliment l’architecture

Entre archi et photo, l’histoire ne date pas d’hier… Sources inépuisables d’inspiration, la ville et le bâti ont inlassablement constitué un immense champ des possibles à immortaliser. Tour d’horizon de celles et ceux qui se sont pris d’affection pour le paysage urbain, sa complexité, ses aspérités, à travers huit profils d’artistes singuliers.

Certaines images sont entrées dans l’histoire. Et certaines collaborations ont marqué l’architecture : Le Corbusier et Lucien Hervé par exemple. « Vous avez l’âme d’un architecte », écrivait le premier au second. Faut-il donc posséder une telle âme pour photographier l’architecture ? Probablement. Mais depuis les premiers clichés, le chemin parcouru est immense. Aujourd’hui, les photos d’architecture, comme les autres, sont soumises à une postproduction parfois très sophistiquée. Littérales ou artistiques, toutes rendent saisissable la lecture de l’espace construit, la nature d’un lieu. Un travail de traduction et d’interprétation qui prend tout son sens dans le domaine spécifique qu’est celui de l’architecture.


JEAN-MICHEL BERTS : Artiste du contraste

Série « New York Color » de Jean-Michel Berts.
Série « New York Color » de Jean-Michel Berts. JEAN-MICHEL BERTS

C’est à l’âge de 16 ans que Jean-Michel Berts débute la photographie avec des portraits en noir et blanc. S’ensuit une carrière dans la publicité. Celui qui fêtera ses 60 ans cette année entame la série « Portrait de ville » en 2001 à la faveur d’un voyage à Venise alors submergée par l’acqua alta. Le tirage de ses clichés est une révélation, et l’architecture, qu’il considère comme « le reflet économique et culturel d’une société », devient son obsession. Les êtres humains sont totalement absents de ses photographies, conférant aux villes qu’il shoote une atmosphère irréelle et onirique. Que ce soit à Paris, à Chicago ou à Tokyo, les images de Jean-Michel Berts sont aisément reconnaissables par la technique qu’il utilise consistant à sous-développer puis surexposer les négatifs afin d’obtenir une densité plus forte et d’augmenter le contraste du noir et blanc.
> Jeanmichelberts.com

Série « New York Color » de Jean-Michel Berts.
Série « New York Color » de Jean-Michel Berts. JEAN-MICHEL BERTS

CYRUS CORNUT : Confronter les échelles

Série « Chongqinq, sur les quatre rives du temps qui passe » de Cyrus Cornut (2017).
Série « Chongqinq, sur les quatre rives du temps qui passe » de Cyrus Cornut (2017). Cyrus Cornu

Cyrus Cornut, 42 ans, est architecte de formation. La ville et les comportements qu’elle implique est son terrain de jeu favori. Autant dire que l’homme seul, ou la foule dense et compacte, est bien souvent présent dans ses clichés où se mêlent échelles urbaine et humaine. Son autre marotte, c’est l’Asie. À Chongqing, en Chine, ou à Séoul, il a capturé le gigantisme, les constructions démesurées, les métropoles en mutation. À Singapour, il immortalise la place de la nature et du végétal en ville, un sujet auquel il s’intéresse également depuis 2011. En France, ses « Voyages en périphérie » nous emmènent à travers d’autres paysages, ceux des logements de masse en Île-de-France, sur lesquels il pose son regard, toujours en donnant à voir autre chose que ce que l’on croit déjà connaître.
> Cyruscornut.com

Série « Chongqinq, sur les quatre rives du temps qui passe » de Cyrus Cornut (2017).
Série « Chongqinq, sur les quatre rives du temps qui passe » de Cyrus Cornut (2017). Cyrus Cornu

LAURENT KRONENTAL : Le charme de l’ancien

Série « Souvenir d’un futur » de Laurent Kronental.
Série « Souvenir d’un futur » de Laurent Kronental. Laurent Kronental

Laurent Kronental s’est pris d’affection pour les grands ensembles et ceux qui les habitent. À 32 ans, il fait partie de ces photographes qui portent un regard bienveillant sur ce patrimoine, façonné par une enfance à Courbevoie, à deux pas de la Défense et des quartiers d’habitation situés derrière. Autodidacte, il a appris son métier lors d’un voyage de quelques mois à Beijing. À son retour, il démarre « Souvenir d’un futur », qui immortalise la monumentalité de ces architectures emblématiques de l’utopie moderniste, telles que Les Étoiles d’Ivry, de Jean Renaudie et Renée Gailhoustet, à Ivry-sur-Seine (1972), ou les Espaces d’Abraxas, de Ricardo Bofill, à Noisy-le-Grand (1983). Dans le prolongement de cette première série, « Les Yeux dans les tours » nous montre, cette fois-ci, ces grands ensembles depuis l’intérieur. Objet de son travail : les tours Aillaud (du nom de leur architecte), également appelées tours Nuages, à Nanterre (1973-1981). En poussant les portes des appartements, il a saisi l’échelle de l’intime, celle de l’habitat, au travers d’étonnantes fenêtres façon hublots.
> Laurentkronental.com

Série « Souvenir d’un futur » de Laurent Kronental.
Série « Souvenir d’un futur » de Laurent Kronental. Laurent Kronental

MICHAEL WOLF : L’obsession des mégacités

« Night » de Michael Wolf (2006).
« Night » de Michael Wolf (2006). Michael Wolf

Michael Wolf, qui vient tout juste de disparaître à l’âge de 65 ans, devient photographe pour le magazine Stern à Hongkong, avant de se concentrer sur ses propres séries, en 2003. Il a publié une trentaine de livres, exposé à la Biennale de Venise, aux Rencontres d’Arles ou au MoMA. Parmi ses séries phares, on retient « Informal Solutions », qui illustre la débrouillardise forcée des habitants de Hongkong, « Tokyo Compression », des photos de Tokyoïtes dans le métro embué à donner des sueurs froides, « Transparent City », à Chicago, et « Architecture of Density ». Pourquoi une telle obsession pour les mégalopoles ? « Elles vivent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, on y ressent une puissante énergie, on ne s’y ennuie jamais… Plus les clichés sont larges, plus ils prennent aux tripes », assure-t-il. Hors de question de photographier l’Allemagne, « trop conformiste et disciplinée ». Il n’aura malheureusement pas eu le temps de saisir les grandes villes indiennes ou chinoises, comme il en avait le projet. J.C.
> Photomichaelwolf.com

CAMILLE GHARBI : Regard documentariste

« Hôtel à Metz » de Camille Gharbi.
« Hôtel à Metz » de Camille Gharbi. camille-gharbi / AGENCE A/N/MA

Ceux qui ne connaissaient pas le travail de Camille Gharbi ont pu la découvrir lors de la dernière édition du formidable festival Circulation(s), à Paris, où elle présentait « Preuves d’amour » une série consacrée aux féminicides, qui lui a valu de remporter le 1er prix des Fidal Youth Photography Awards en 2018. Née en 1984, la photographe est architecte de formation. À travers une approche documentaire, elle s’intéresse à la fois à des thématiques sociétales et au bâti, comme des édifices d’architectes contemporains, qu’elle capture avec sensibilité. Parfois les deux se croisent, comme dans « Lieux de vie », où ce sont les habitats de fortune créés par les migrants à Calais qu’elle a représentés isolés de leur contexte politique. Elle y a vu l’ingéniosité, la créativité, l’entraide et la résilience de ces populations en souffrance.
> Camillegharbi.com

« Eglise orthodoxe, jungle de Calais » de Camille Gharbi  (2016), extrait de sa série « Lieux de vie ».
« Eglise orthodoxe, jungle de Calais » de Camille Gharbi  (2016), extrait de sa série « Lieux de vie ». Camille Gharbi

SCHNEPP-RENOU : Comme un duo cyclope

« La Grande-Motte » de Schnepp-Renou.
« La Grande-Motte » de Schnepp-Renou. ©Schnepp Renou

C’est sur les bancs de l’école de photographie Best-Sabel, à Berlin, que Simon Schnepp et Morgane Renou se sont rencontrés. Au sortir de leurs études, en 2011, ils se sont associés à l’occasion d’un projet sur les tours d’habitation des années 70-80 qui jalonnent les banlieues parisiennes. De Montigny-le-Bretonneux à Cergy, leur série « Les Grands Ensembles » inaugure leur sujet de prédilection : l’architecture. La signature Schnepp Renou ? La teinte laiteuse de leurs images qui magnifie et « abstractise » les bâtiments sans sacrifier au réalisme. Avec d’autres photographes allemands, ils ont créé le collectif Neue Langeweile dans le but de réconcilier travaux de commande et œuvres libres, souvent considérés comme antinomiques. Une première exposition a été présentée cet été, à Arles, dans le cadre de Voies Off . Simon Schnepp et Morgane Renou sont basés à Berlin et à Paris.
> Schnepp-renou.com
> Neue-langeweile.de

« Les Olympiades » de Schnepp-Renou.
« Les Olympiades » de Schnepp-Renou. ©Schnepp Renou

STÉPHANE COUTURIER : Sociologie arty

« Secrétariat Chandigarh » de Stéphane Couturier (2006-2007), extrait de la série « Melting Point ».
« Secrétariat Chandigarh » de Stéphane Couturier (2006-2007), extrait de la série « Melting Point ». Stéphane Couturier

Depuis ses débuts, Stéphane Couturier, 62 ans, se passionne pour la ville historique, la métropole en mouvement, les chantiers, les barres d’immeubles ou encore les usines. En 1995, sa première série, « Archéologie urbaine », immortalisait les vastes centres urbains de Paris, Berlin ou Moscou tandis que « Monuments » questionnait la périphérie. Frontales et en grand format, les photographies de Stéphane Couturier racontent la ville dans toute son hétérogénéité et sa complexité. Plusieurs d’entre elles ont intégré les collections permanentes de nombreux musées comme le Centre Pompidou, l’Art Institute of Chicago ou le LACMA, à Los Angeles. En 2003, il fut récompensé par le prix Niépce. Parmi ses dernières créations : un travail sur Alger, mais aussi des films. Et jusqu’au 29 février 2020, le plasticien présente ses œuvres dans une exposition qui lui est consacrée, intitulée « Transmutations » et installée au sein du cabinet d’avocats Arendt & Medernach, au Luxembourg.
> Stephanecouturier.fr

« Alger, Cité Climat de France, façade #1 » de Stéphane Couturier (2011-2013).
« Alger, Cité Climat de France, façade #1 » de Stéphane Couturier (2011-2013). Stéphane Couturier

VINCENT FILLON : Chasseur de fantômes

« Monolithe 16 » de Vincent Fillon (2019).
« Monolithe 16 » de Vincent Fillon (2019). Vincent Fillon

Diplômé de l’École nationale supérieure Louis-Lumière, Vincent Fillon, 42 ans, se consacre à la photographie à travers des commandes pour des architectes et des institutions, mais aussi des séries plus personnelles, toujours autour de l’urbain et du paysage. En 2010, avec  ¿Better City Better Life », il immortalise la rue Waicanggio, témoignant des derniers vestiges du patrimoine chinois avant le passage de l’Exposition universelle à Shanghai. Il est souvent question de fantômes architecturaux et de temps révolus dans le travail de Vincent Fillon. En 2013, il interroge l’« Entre-deux », temps suspendu d’un patrimoine entre deux états, où la surimpression propose une nouvelle lecture. La série est récompensée par le prix SFR Jeunes talents et exposée aux Rencontres d’Arles. Qu’il s’agisse des 52 tours identiques capturées à Hongkong (« City One »), de l’habitat pavillonnaire (« Porosités ») ou d’une forêt illuminée (« We were here »), la distorsion de la réalité traverse cette oeuvre singulière. Et crée des ressentis inattendus. En cours, la série « Monolithes » prend le contre-pied de la représentation en photographie d’architecture. La finalité n’est pas de retranscrire le réel, mais de documenter une scène fictionnelle.
> Vincent-fillon.fr

« Monolithe 01 » de Vincent Fillon (2019).
« Monolithe 01 » de Vincent Fillon (2019). Vincent Fillon

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