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Expo : Saint-Etienne célèbre Robert Morris, pionnier de l’art minimal

Cet été, le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Etienne présente « Robert Morris, The Perceiving Body / le Corps Perceptif », la première exposition d’envergure consacrée au pionnier de l’art minimal, depuis sa disparition en décembre 2018.

En jouant avec le hasard et la répétition, des matériaux simples et des formes élémentaires, Robert Morris a posé les jalons du minimalisme au cours des années 1960 et 1970. Alors plutôt qu’organiser une rétrospective de sa longue carrière, le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Etienne se concentre sur cette période cruciale. Deux décennies pendant lesquelles l’artiste a bouleversé les codes de la sculpture grâce à des œuvres qui nouent une relation physique, sensible et directe, avec le spectateur.

Robert Morris (1931-2018) compte parmi les pionniers de l’art minimal, aux cotés de Carl Andre, Dan Flavin, Donald Judd ou Sol LeWitt.
Robert Morris (1931-2018) compte parmi les pionniers de l’art minimal, aux cotés de Carl Andre, Dan Flavin, Donald Judd ou Sol LeWitt. DR

Pensé et validé par Robert Morris de son vivant, le parcours réunit quatorze de ses œuvres sous le commissariat du critique Jeffrey Weiss. Coproduite avec le Mudam Luxembourg – Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean, l’exposition débute dès le hall d’entrée avec une de ses créations les plus imposantes : une sculpture à rebours des canons classiques, avec une structure en acier que l’artiste emprunte au monde de l’architecture. Egalement issu du domaine de la construction, le contreplaqué qui façonne Untitled (3Ls) : des pièces en forme de « L », dont la taille et les positions – assise, debout, couché – répondent à celles du corps humain pour interagir avec les visiteurs.

Robert Morris, Untitled (3Ls), 1965.
Robert Morris, Untitled (3Ls), 1965. © ADAGP

Des plus neutres, vu leur matériau basique, leur géométrie sommaire et leur couleur unie grise, ces « L » signent ni plus ni moins l’acte de naissance de l’art minimale, aux cotés des œuvres de Dan Flavin ou Donald Judd, présentées lors de l’exposition fondatrice « Primary Structure », qui se tint en 1966 au Jewish Museum de New York. Arrivé à Big Apple après une enfance dans le Missouri, des études d’ingénieur, en philosophie, en histoire de l’art et dix années dédiées à la peinture, Robert Morris fait alors figure de pionnier et ne cesse de réinventer sa pratique. A travers le feutre, il s’attaque à un nouveau matériau : une matière chaude, colorée et tactile, qui lui offre un nouvel éventail sensoriel.

Robert Morris, Untitled (Felt Piece), 1974, feutre, bois.
Robert Morris, Untitled (Felt Piece), 1974, feutre, bois. aurelien-mole-mamc © Adagp

Grâce à la souplesse du textile, quelques découpes, des incisions, des plis et des systèmes d’accroche très simples, les œuvres de cette série apparaissent finalement sous l’effet de la pesanteur. Un principe qu’il nomme « anti-forme » et avec lequel il explore des thèmes variés, inspirés par le théâtre, la nature ou la sensualité du corps féminin. Suspendues au mur, ces sculptures s’appréhendent dans un rapport plus frontal que la majorité de ses pièces. Car, depuis son installation à New York et un passage par l’art de la performance, le mouvement joue dans son travail un rôle majeur. En atteste l’Untitled (Scatter Piece), une sculpture dispersée dans l’espace qui incite le spectateur à adopter un point de vue changeant et mobile.

Robert Morris, Untitled (Scatter Piece), 1968-1969/2009, feutre de laine pressé, acier, acier galvanisé, acier cuivré, plomb, aluminium, laiton.
Robert Morris, Untitled (Scatter Piece), 1968-1969/2009, feutre de laine pressé, acier, acier galvanisé, acier cuivré, plomb, aluminium, laiton. aurelien-mole-mamc. Collection Art Institute of Chicago © Adagp

Chef-d’œuvre de l’exposition, cet éparpillement de fragments de feutre, acier, zinc, cuivre, laiton et aluminium bouscule toutes les règles de composition. Influencé, entre autres, par les collages aléatoires de Jean Arp, Morris laisse le hasard dicter la forme de son œuvre. Après avoir confié leur fabrication à des tiers, il transgresse les règles établies en allant jusqu’à déléguer leur mise en scène. Pour la première présentation de cette œuvre en 1969, l’artiste énonce seulement quelques règles à l’intention des commissaires d’exposition. Par exemple, deux fragments d’un même matériau ne peuvent se toucher et les éléments en métal ne peuvent être posés sur ceux en feutre.

Au premier plan : Untitled (Quarter-Round Mesh), 1967-1968, acier et maillage en acier. Au second plan, de gauche à droite : Untitled (Pine Portal with Mirrors), 1961-1978, pin stratifié et miroirs. Untitled (Ring with Light), 1965-1966, fibre de verre et lumière fluorescente. Untitled (Fiberglass Frame), 1968, fibre de verre translucide et résine.
Au premier plan : Untitled (Quarter-Round Mesh), 1967-1968, acier et maillage en acier. Au second plan, de gauche à droite : Untitled (Pine Portal with Mirrors), 1961-1978, pin stratifié et miroirs. Untitled (Ring with Light), 1965-1966, fibre de verre et lumière fluorescente. Untitled (Fiberglass Frame), 1968, fibre de verre translucide et résine. Aurélien Mole - MAMC

Installés à même le sol, quatre objets dits de « grand formats » engagent également à une déambulation dans l’espace. En maille d’acier, en fibre de verre ou en contreplaqué, les différentes pièces diffusent, reflètent ou absorbent la lumière, un élément récurrent, à cette époque, dans les travaux de Morris. A l’image des miroirs que l’artiste utilise afin de troubler la perception des spectateurs, en vidéo ou à travers ses installations. Reprenant la forme du cube particulièrement appréciée des artistes minimalistes, notamment Carl André et Sol Lewitt, Mirror Cubes renoue avec la répétition modulaire pour créer des reflets qui génèrent des effets de multiplication, de fragmentation et, ainsi, mettent à mal notre compréhension de l’espace et de la réalité.

Robert Morris, Untitled (Mirrored Cubes), 1965/1971, miroir et bois.
Robert Morris, Untitled (Mirrored Cubes), 1965/1971, miroir et bois. aurelien-mole-mamc. Collection Tate

Dérouter, déstabiliser, désorienter… l’installation Untitled (Portland Mirrors) remplit les mêmes objectifs, à l’aide de longues poutres en bois qui s’étirent au sol pour « taper » au centre de miroirs disposés sur chaque murs. Du fait d’une importante distanciation entre les miroirs, les jeux de réflexion provoquent des mises en abîmes et déjouent les principes de la perspective en créant l’illusion d’espaces multiples. Née en 1977, l’oeuvre s’adapte aujourd’hui aux salles du MAMC+ de Saint-Etienne, un musée particulièrement apprécié de Robert Morris, puisqu’il fut le premier, en France, à lui consacrer une exposition personnelle dès 1974…

> Exposition « Robert Morris, The Perceiving Body / le Corps Perceptif », jusqu’au 1er novembre 2020, au MAMC+ de Saint-Etienne, rue Fernand Léger 42270 Saint-Priest-en-Jarez. mamc.saint-etienne.fr

Robert Morris, Untitled (Portland Mirrors), 1977, bois de sapin Douglas de longueur variable, miroirs.
Robert Morris, Untitled (Portland Mirrors), 1977, bois de sapin Douglas de longueur variable, miroirs. aurelien-mole-mamc. Collection Estate Robert Morris