Interview : Giuliano Andrea Dell’Uva, l’architecte hyperactif

Ses projets, qu’il s’agisse de villas, d’hôtels ou même de boutiques, chantent tous son amour et sa culture de la Méditerranée. Cet architecte installé à Naples sait comme nul autre associer l’histoire de l’architecture et du design italiens à un glamour très contemporain, sans jamais faire l’impasse sur l’esprit des lieux.

Que vouliez-vous faire à l’hôtel Capri Suite d’Anacapri ?
En tant qu’architecte installé à Naples, je voulais proposer un manifeste, une vitrine de mon travail dans laquelle on pourrait aussi vivre et s’inspirer pour chez soi. Les gens de passage peuvent d’ailleurs acheter tout le mobilier découvert sur place. Le projet Capri Suite est d’abord parti de la rénovation de l’ancien couvent (désormais annexé à l’hôtel, NDLR) de l’église San Michele d’Anacapri, connue pour ses sols présentant des scènes bibliques du paradis terrestre.

J’ai conservé tous les sols du couvent, dont ceux édifiés avec l’église, au XVIIIe siècle, ainsi que les fresques murales et les plafonds. L’idée était de dévoiler un lieu riche d’Histoire et de charme dans une ambiance moderne, tournée vers l’essentiel. J’ai joué avec le blanc et les couleurs de la Méditerranée, comme le bleu et le jaune, afin de créer une lumière particulière. Un jardin vertical de plantes grasses apporte de la verdure au patio. Ce projet a changé ma façon de voir, en éprouvant mes capacités d’architecte d’intérieur et de propriétaire aussi !

Mélange parfait entre architecture et design

Quels sont les fondamentaux d’un hôtel bien conçu ?
C’est le mélange d’architecture et d’icônes du design ainsi que l’importance donnée aux espaces, à la verdure et aux lieux de convivialité.

Que faire de Scaturchio, le café-pâtisserie de référence de Naples ?
Il n’y a qu’un Scaturchio et il est à Naples. Le projet est d’ouvrir d’autres lieux dans sa lignée partout en Italie, à Milan notamment, et ensuite à l’étranger. Pour l’instant, je suis très occupé par l’adresse de Naples. Le but est de valoriser l’histoire de cette maison sur laquelle j’applique mon empreinte.

À quoi n’oubliez-vous jamais de faire attention dans vos projets ?
Comme je vous le disais, au mélange parfait entre architecture et design. Mes travaux tendent à créer un environnement culturellement très imprégné. J’essaie toujours de donner un sens, culturel s’entend, à des intérieurs très simples à l’origine. Comme dans l’ancien bâtiment des conserves Cirio, aménagé en atelier de scénographie pour le théâtre San Carlo, à Naples. J’ai abordé ce contexte industriel pour le transformer en un espace relié à l’art et au spectacle. C’était très intéressant.

À Naples, le café-pâtisserie Scaturchio, ici rallumé en jaune, est une institution où manger un ministeriale au chocolat. Giovanni Andrea Dell’Uva œuvre à développer l’enseigne ailleurs. Prochaine étape, Milan.
À Naples, le café-pâtisserie Scaturchio, ici rallumé en jaune, est une institution où manger un ministeriale au chocolat. Giovanni Andrea Dell’Uva œuvre à développer l’enseigne ailleurs. Prochaine étape, Milan. luciano romano

Comment êtes-vous venu à l’architecture ?
J’ai grandi à Naples dans de vieilles maisons truffées de meubles et de portraits de famille. Mes parents – mon père était journaliste – avaient une prédilection pour des gens comme Gio Ponti. Ils mélangeaient facilement les pièces de design avec des choses anciennes. À 12 ans, je collectionnais déjà le magazine Architectural Digest. J’attendais fiévreusement chaque mois la sortie du nouveau numéro. De bonne heure, j’ai compris que mon sort était scellé ! Encore étudiant, avant même d’être diplômé, j’avais déjà travaillé sur des maisons pour des amis de mes parents et collaboré avec l’architecte de la leur.

Lors de vos études à l’université de Naples-Frédéric-II, ambiance classique ou expérimentale ?
Expérimentale, bien sûr, mais j’avais aussi une passion pour l’architecte d’intérieur Renzo Mongiardino (1916-1988) et sa façon d’interpréter les espaces domestiques comme des scènes de spectacles. Dans mes projets, le point de départ des intérieurs est toujours une image. Sinon, dans mon parcours, c’est lors de mon expérience à l’université de la République, à Montevideo, en Uruguay, que j’ai développé une passion pour l’architecture des années 50.

« Je vis entre Milan et Naples, baigné dans toute une histoire d’architecture et de design. En Italie, nous sommes enclins à les mélanger. En France, vous êtes davantage poussés à reformuler les traditions… J’aime d’ailleurs beaucoup cette façon de faire des Français. » Giovanni Andrea Dell’Uva

Quand vous avez fondé votre studio à Naples, il y a dix ans, de quels types de projets rêviez-vous ?
J’ai débuté avec des projets résidentiels, mais mon désir le plus cher était de concevoir des hôtels. Je l’ai en partie satisfait avec mon propre lieu, la Capri Suite, puis avec le Miramare, sur l’île d’Ischia. C’est à la Capri Suite que se traduit ma passion pour les petits boutique-hôtels. Dernièrement, j’ai travaillé sur le Palazzo Luce, à Lecce, un très prestigieux établissement dont vous entendrez bientôt parler.

Tout ce qu’aime Giuliano Andrea Dell’Uva se retrouve chez lui : des murs qui ont des choses à raconter, le design, le jaune et le bleu de la mer.
Tout ce qu’aime Giuliano Andrea Dell’Uva se retrouve chez lui : des murs qui ont des choses à raconter, le design, le jaune et le bleu de la mer. luciano romano

Quelle différence entre l’architecture intérieure française et l’italienne ?
Là où je vis, entre Milan et Naples, je baigne dans une histoire ancienne de l’architecture et du design aussi. En Italie, nous sommes enclins à les mélanger. En France, je pense que l’on est davantage poussé à reformuler les traditions et à expérimenter de nouvelles façons de faire du design. J’aime d’ailleurs beaucoup cette façon de faire des Français.

Quelle est, en Italie, l’architecture qui vous touche le plus ?
Certainement celle du Parco dei Principi, à Sorrente. Il synthétise deux de mes passions : les hôtels et Gio Ponti. Pour moi, c’est l’icône de l’architecture de cette époque (1960, NDLR), de par ses innovations et ses couleurs. C’est le premier des « design hotels », exactement ce que je recherche dans ma propre carrière. C’est vraiment pour moi un lieu hautement inspirant.

Et l’architecture qui vous émeut le plus au niveau international ?
Celle de Le Corbusier et sa façon de voir la maison comme une « machine à habiter », ce qui a aussi inspiré mon architecture. J’ai récemment repensé un petit appartement de Milan, celui qui est en couverture du n° 141 d’IDEAT, avec beaucoup de références à Le Corbusier.

La plus grande satisfaction dans votre métier ?
Que, à l’instar de la machine à habiter de Le Corbusier, mes projets soient des espaces fonctionnels, riches de culture et d’art, et qu’ils accueillent une famille qui veuille vivre et grandir dedans.