Colony, le design solidaire made in New York

À l’heure où les créateurs se replient dans des ateliers virtuels et solitaires, le collectif Colony fait souffler un vent humaniste sur le monde du design en rassemblant une communauté d’indépendants sur un mode coopératif.

Après deux expositions et des mois passés à naviguer entre les confinements successifs, le collectif Colony, un éditeur new-yorkais pas comme les autres, a signé son grand retour dans son showroom de Chinatown, à Manhattan.

Avec l’amour des matériaux comme fil conducteur, le studio A Space y présente, dans la collection « The Source », une table basse de style brutaliste en tuf volcanique, inspirée par l’architecture et l’artisanat arméniens. Le studio Allied Maker, originaire de Long Island, propose quant à lui trois nouvelles collections de luminaires aux lignes épurées, dont le chandelier Monoscope en bois, aluminium, papier japonais et verre borosilicate. Ludique, le studio Phaedo dévoile une console modulable en Lexan, un plastique transparent très résistant utilisé dans la fabrication des phares de voitures et des boucliers de police.

Une forte inspiration artistique

L’esprit récup domine aussi les collections, comme les consoles « Found » (« trouvé ») en marbre brut, signées A Space, qui subliment la forme plutôt que la fonction. Produit en édition limitée, le mobilier Colony joue souvent avec la frontière entre l’art et le design, quitte à puiser ouvertement dans les œuvres des maîtres d’antan.

Après les séries « Sonia » et « Line Mirror 01 », inspirées des recherches formelles des artistes Sonia Delaunay et Agnès Martin, le duo Vonnegut/Kraft évoque, avec sa table Bole en bois de sapelli africain, la flore tropicale imaginaire des peintures du Douanier Rousseau. Les pièces de la collection sont disponibles via une méthode d’exposition-vente classique, qui cache en réalité de fortes aspirations humanistes, inscrites dans l’ADN du collectif.

Lit de jour Oak Crescent Lounge du studio Vonnegut/Craft (Colony).
Lit de jour Oak Crescent Lounge du studio Vonnegut/Craft (Colony). DR

Flash-back. Après le passage de l’ouragan Sandy, qui a ravagé New York en 2012, la ville a les pieds dans l’eau et peine à se relever. La très prestigieuse galerie Moss a définitivement fermé, emportant avec elle les faibles perspectives de reconnaissance pour les designers de la région.

La tempête solidaire du design

C’est dans cette atmosphère de détresse et de résilience que Jean Lin, designer et fondatrice de Colony, profite gracieusement d’un espace temporaire dans la boutique Ligne Roset. Avec la critique Jennifer Gorsche et le designer industriel Brad Ascalon, Jean Lin rassemble alors des œuvres créées à partir de débris ramassés après la tempête pour en faire des objets utiles. Une manière de conjurer le sort tout en levant des fonds pour la Croix-Rouge locale.

Table à manger Bole et tabourets Mesa de l’œuvre picturale du Douanier Rousseau (Colony).
Table à manger Bole et tabourets Mesa de l’œuvre picturale du Douanier Rousseau (Colony). DR

Baptisée « Reclaim » (« récupérer »), l’exposition qui en découle est aussi l’occasion de revendiquer la richesse du design américain, souvent délaissé outre-Atlantique pour le made in Italy, d’après ses commissaires. La vente caritative est un succès et Jean décide d’organiser un soutien pérenne à la création.

Altruiste et commercial

Si elle a choisi des artistes talentueux, l’entrepreneuse a surtout fondé une communauté soudée, calquée sur le modèle des coopératives alimentaires, alors en vogue à NewYork : « Le système classique de commercialisation n’est pas tenable pour des créateurs en début de carrière, explique-t-elle. Entre les coûts de production et les commissions versées à la galerie qui les représente, les designers passent leur temps à courir après la compta plutôt que de créer sereinement. »

Une commission réduite pour la galerie

Une fois cooptés, les membres paient un abonnement annuel qui donne accès à l’espace d’exposition ainsi qu’à un réseau d’entraide. La coopérative perçoit aussi une faible commission sur les ventes, de l’ordre de 10% – au lieu de 30% à 50% dans le schéma traditionnel des galeries. Le dispositif permet notamment aux cotisants de monter des projets en parallèle : « Aussi attrayant que cela puisse paraître, demander à des créateurs de signer un contrat d’exclusivité freine considérablement leur développement et, par extension, le nôtre », déclare Jean.

Un système altruiste et commercial à la fois, toujours d’actualité : « J’ai rassemblé aujourd’hui assez de talents pour mettre en valeur la diversité des propositions artistiques, tout en laissant à chacun assez d’espace pour s’exprimer sans qu’il ou elle ne se sente en compétition. » Une démarche raisonnée qui redonne de l’espoir à tout le design new-yorkais.

> Colony. 324 Canal St 2nd floor, New York, NY 10013, États-Unis. goodcolony.com

Ame est un mot japonais qui signifie pluie. C’est aussi le nom de ce fauteuil, fruit de la première collaboration entre le Studio Paolo Ferrari et Hiroko Takeda.
Ame est un mot japonais qui signifie pluie. C’est aussi le nom de ce fauteuil, fruit de la première collaboration entre le Studio Paolo Ferrari et Hiroko Takeda.
La table d’appoint Dish comprend trois pieds sculpturaux associés à un plateau concave.
La table d’appoint Dish comprend trois pieds sculpturaux associés à un plateau concave.
A gauche, l’Arc Side Table en marbre de Carrare fait partie de la série « Repeat ». À l’origine envisagée comme une pièce destinée aux entrées, le banc Cantilever offre un moyen de rangement pratique sans gêner l’équilibre global de la pièce.
A gauche, l’Arc Side Table en marbre de Carrare fait partie de la série « Repeat ». À l’origine envisagée comme une pièce destinée aux entrées, le banc Cantilever offre un moyen de rangement pratique sans gêner l’équilibre global de la pièce. DR
Lustre Monoscope, signé Allied Marker, en contre-plongée.
Lustre Monoscope, signé Allied Marker, en contre-plongée. DR
Portrait de Moving Mountains et Hiroko Takeda.
Portrait de Moving Mountains et Hiroko Takeda. DR
À gauche, le duo Vonnegut Kraft et à droite, le duo Allied Maker.
À gauche, le duo Vonnegut Kraft et à droite, le duo Allied Maker. DR
À gauche, studio Phaedo et à droite, A Space.
À gauche, studio Phaedo et à droite, A Space. DR