Duos iconiques : L’actualité culturelle de la rentrée

De Christo et Jeanne-Claude, à Martin Parr et Tony Ray-Jones en passant par Marina et Ulay : l’actualité culturelle de la rentrée se compte en double(s).

Le modernisme par Anni et Josef Albers

Anni et Josef Albers, élèves prodiges de l’école du Bauhaus, n’ont cessé de chercher à transcender la représentation de l’art chez les avant-gardistes. À l’occasion du centenaire de leur rencontre, à Weimar en 1922, le musée d’Art moderne de Paris présente plus de 350 œuvres parcourant leur trajectoire artistique et leurs recherches dans divers champs d’intervention et disciplines. Du célèbre Hommage au carré, de Josef Albers, à l’œuvre graphique d’Anni Albers, l’accrochage fait ressortir un attrait fort pour des supports et matériaux variés.

La complicité de ce couple de pionniers se traduit par un dialogue constant entre leurs pièces respectives. Une exploration qui place l’art au centre de la réflexion, à la croisée de l’artisanat et de la production industrielle prônée par le Bauhaus. À la fermeture de l’école, leur attention se détourne vers l’art précolombien : le couple réalise divers voyages en Amérique latine entre 1935 et 1967, où il puise de nouvelles inspirations créatrices. Une rétrospective inédite qui explore les prémices du modernisme et met en lumière peintures et dessins, pièces de mobilier et œuvres textiles, mais aussi des photographies.

« Anni et Josef Albers : l’art et la vie ». Au musée d’Art moderne de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, jusqu’au 9 janvier 2022.

Le rêve de Christo et Jeanne-Claude

Dès leur rencontre dans les années 60, Christo et Jeanne-Claude imaginent l’empaquetage de l’Arc de triomphe et rêvent de sa réalisation. Malgré leur disparition, leurs équipes – en collaboration avec le Centre des monuments nationaux (CMN) – ont préparé le montage, douze semaines durant, qui aboutit à cette œuvre posthume. Un projet d’envergure, qui réunit 25 000 m² de tissu et 3 000 m² de corde, le tout en matériaux recyclables.

Les rois de l’emballage sont célèbres pour leurs installations éphémères, faisant disparaître des monuments historiques, des parlements, des îles et des vallées ! Chaque tour d’illusionnisme célèbre le détail du paysage, qu’ils occultent sous des centaines de milliers de mètres de tissu. Le souhait ultime des créateurs est piloté par Vladimir Yavachev, neveu de Christo, qui supervisera le hissage des toiles et la fidélité aux plans méticuleusement élaborés par le couple. Un rêve qui prend corps et sera visible – et palpable – pendant une quinzaine de jours.

« L’Arc de triomphe empaqueté, par Christo et Jeanne-Claude ». Place Charles-de-Gaulle, 75008 Paris, du 18 septembre au 3 octobre 2021.

Marina et Ulay : phénix de l’art performatif

Le duo de précurseurs de l’art de la performance, Marina Abramović et Ulay, est un habitué du musée d’Art contemporain de Lyon. En 1986, tous deux lui réservent un volet de leur cycle de performances, « Nighsea Crossing », point d’orgue d’une collaboration qui s’est prolongée douze ans. Ils invitent alors le public à assister aux longues heures (jours !) durant lesquelles le couple reste statique, muet, l’un assis face à l’autre. Depuis, soutien de leur démarche, le macLYON a récupéré les enregistrements et photographies d’archives d’une carrière artistique qui a évolué de pair avec une histoire d’amour, interrogeant les limites du couple ainsi que celles des corps.

Dans les cassettes, tous deux s’affrontent silencieusement, imperturbables. Ils se giflent, hurlent, s’embrassent et respirent l’air de l’autre, courent et se foncent dessus jusqu’à l’épuisement. La papesse de la performance et son compagnon – qui s’est éteint au printemps 2020 – ont dû parcourir un long chemin avant de se faire accepter par la critique, féroce et méprisante à leurs débuts. Le goût du risque et le dévouement pour l’art les mèneront aux quatre coins du monde, sous le regard curieux d’adhérents à leur discipline. L’exposition présente une large sélection de leurs performances radicales et intemporelles, entre méditation méthodique et prouesses physiques.

« Marina Abramović et Ulay. La collection : performances 1976-1988 ». Au musée d’Art contemporain de Lyon, 81, quai Charles-de-Gaulle, 69006 Lyon, du 15 septembre 2021 au 2 janvier 2022.

Martin Parr et Tony Ray-Jones ou l’ironie et la désinvolture

Fasciné par la découverte de la maestria de Tony Ray-Jones, Martin Parr, célèbre signature de l’agence Magnum, décide fermement de labourer le sillon de son confrère photographe, en immortalisant le littoral et les petits villages de l’Angleterre. Bien qu’ils ne se soient jamais connus de leur vivant, tous deux portent un regard narquois sur les habitants de leur pays. Ils documentent, avec bienveillance et sans jugement, le quotidien kitschissime de la société britannique.

Et pourtant, l’absurdité de certaines compositions porte à croire qu’il s’agirait de mises en scène. La justesse dans l’œil de ces maîtres de la photographie documentaire s’invite aux cimaises de la Galerie Clémentine de la Ferronnière, à Paris (IV^e). Excentriques et farfelus, les sujets qui habitent leurs tirages témoignent des résonances entre les deux trajectoires. Le choix de la monochromie atténue l’effet grotesque des décors et des personnages. Ce n’est que plus tard que Parr optera pour l’utilisation systématique de couleurs saturées et du flash afin de fortifier l’angle humoristique de son œuvre. Certains de ses clichés, faisant écho à d’autres en noir et blanc, sont également exposés à la boutique de la galerie. Entre concours de beauté et scènes de bord de la mer, le portrait que Tony Ray-Jones et Martin Parr tirent de leurs concitoyens déborde d’authenticité.

« In Black & White: Martin Parr & Tony Ray-Jones ». À la Galerie Clémentine de la Ferronnière (deuxième cour), 51, rue Saint-Louis-en-Île, 75004 Paris, jusqu’au 20 novembre 2021.

L’éveil de l’expressionnisme chez Chaïm Soutine et Willem De Kooning

Réunir deux peintres de renom et explorer la dualité entre art figuratif et art abstrait, tel est le pari du musée de l’Orangerie, à Paris (I^er). Celui-ci propose un dialogue entre les tableaux de Chaïm Soutine, éternel peintre bohème et français d’adoption, avec ceux de Willem De Kooning, Néerlandais attaché à la tradition de l’expressionnisme abstrait américain. Les influences ne se décèlent pas immédiatement : en effet, quoique les deux artistes aient partagé les murs d’une galerie new-yorkaise, cette nouvelle lecture trahit l’enthousiasme des œuvres de De Kooning à l’égard des créations de Soutine.

La rétrospective consacrée à ce dernier en 1951, quelques années après sa mort, marque en effet De Kooning. La texture des traits et la vigueur des couleurs du Russe assiègent le socle d’un tout nouveau courant artistique, l’expressionnisme abstrait. La continuité de cet éveil se retrouve dans les peintures de De Kooning, comme si le pinceau de celui-ci avait été guidé par la mémoire des compositions de son prédécesseur.

« Chaïm Soutine / Willem De Kooning : la peinture incarnée ». Au musée de l’Orangerie, jardin des Tuileries (côté Seine), place de la Concorde, 75001 Paris, du 15 septembre 2021 au 10 janvier 2022.