ArtefactoryLab pour Jouin Manku et Perrot & Richard

Le Groupe Alain Ducasse rachète la Maison du peuple à Clichy

Bâtiment emblématique de Clichy-la-Garenne, la Maison du peuple vient d'être cédée au Groupe Alain Ducasse. Visite.

A Clichy-la-Garenne, la Maison du peuple est en proie à la controverse depuis un certain nombre d’années. Édifiée dans les années 30, laissée à l’abandon, elle vient d’être cédée au Groupe Alain Ducasse, ce qui suscite l’émoi d’une partie des habitants. Le ministère de la Culture promet une « restauration intégrale de ce chef-d’œuvre de l’architecture moderne ».

Une icône expérimentale

Tout de béton, de métal et de verre, l’édifice a abrité bien des activités.
Tout de béton, de métal et de verre, l’édifice a abrité bien des activités. Simon Guesdon

C’est entre 1936 et 1939 que la Maison du peuple a vu le jour à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine). Il s’agit à l’origine de couvrir le marché de Lorraine, situé en plein centre du quartier Victor-Hugo, tandis que l’étage est occupé par une salle poly-valente et modulable. Aux commandes du projet, les architectes Eugène Beaudouin et Marcel Lods ont œuvré avec l’ingénieur Vladimir Bodiansky et les ateliers Jean Prouvé.

Véritable pionnier de la flexibilité, le bâtiment conçu en structure métallique convoque cloisons coulissantes, planchers escamotables et toiture ouvrante, afin de s’adapter au gré des besoins et des usages. Soit 4 000 m² innovants qui firent l’objet d’un classement au titre des monuments historiques en 1983. De passage à Paris, Frank Lloyd Wright écrivit en 1946 que « l’on n’avait encore rien vu de pareil en Amérique ». Référence du mouvement moderne, l’ouvrage expérimental attire en effet les architectes du monde entier, curieux de découvrir cet objet avant-gardiste.

Un OVNI métallique convoité

Inoccupée depuis plus de trente ans, la partie supérieure du bâtiment se détériore à vue d’œil. Cet immense espace à la verrière mobile était totalement modulaire.
Inoccupée depuis plus de trente ans, la partie supérieure du bâtiment se détériore à vue d’œil. Cet immense espace à la verrière mobile était totalement modulaire. Simon Guesdon

Néanmoins, la Maison du peuple, rénovée à plusieurs reprises, se trouve aujourd’hui dans un état fortement dégradé. Depuis plus de trente ans, la partie supérieure de l’édifice est inoccupée, ce qui n’a fait qu’en accentuer la détérioration, de même que l’absence globale d’entretien.

En 2016, dans le cadre de l’appel à projets « Inventons la métropole du Grand Paris », la Ville de Clichy-la-Garenne avait soumis le devenir de la Maison du peuple à l’imagination des architectes, afin de repositionner cet ensemble d’exception dans le XXIe siècle.

Ce concours invite les villes du Grand Paris à proposer des sites, voués à être cédés, sites sur lesquels planchent les équipes candidates pour y concevoir des projets d’architecture et d’urbanisme. Lauréat de cette compétition-ci, Rudy Ricciotti avait prévu d’accoler une tour de 96 mètres de hauteur (soit 31 étages) au bâtiment clichois, qu’il souhaitait restaurer avec minutie pour en préserver l’intégrité architecturale.

Pour le réanimer étaient programmés des commerces et une salle d’exposition, pilotée par le Centre Pompidou grâce à un partenariat culturel inédit. La tour permettait quant à elle de financer l’opération. Tollé général, suscitant l’indignation de celles et ceux qui évoquèrent alors la « défiguration » d’une icône pourtant conservée en l’état, mais de toute évidence écrasée par l’imposante présence de sa nouvelle voisine.

Le projet fut définitivement enterré en 2019 et le futur de cette Maison du peuple à l’abandon, une nouvelle fois ajourné. 2021 permet d’assister à un rebondissement dans cette saga mouvementée avec le rachat de l’emblématique bâtisse par le Groupe Alain Ducasse et le promoteur-investisseur Apsys. Pour ce faire, la Ville de Clichy-la-Garenne a pris la décision de la déclasser du domaine public, acte indispensable pour rendre l’opération possible. 

Pour tous ou pour quelques-uns ?

La grande verrière pouvait être aménagé tant en bureaux qu’en une salle polyvalente de 1 000 places.
La grande verrière pouvait être aménagé tant en bureaux qu’en une salle polyvalente de 1 000 places. Simon Guesdon

L’association Quartier Maison du peuple s’est émue de cette cession, apprise brutalement sans jamais qu’elle ait été informée de ce qui se jouait en coulisse. Depuis décembre dernier, l’autorisation de travaux s’affiche sur la façade. Le projet sera mené par Alain-Charles Perrot, architecte en chef des monuments historiques, et Florent Richard, architecte du patrimoine, qui ont entre autres supervisé, à Paris, la rénovation des hôtels Lutetia et Ritz ou encore de la piscine Molitor. Patrick Jouin et Sanjit Manku seront quant à eux chargés de l’architecture intérieure.

Des noms familiers du luxe qui inquiètent une partie des habitants, lesquels craignent d’être dépossédés du bâtiment. La Maison du peuple sera-t-elle toujours ouverte aux Clichois ? Rien n’est moins sûr. La fermeture du marché de Lorraine a d’ores et déjà été actée. Le Groupe Alain Ducasse se sait attendu au tournant.

Qu’est-ce que le chef multiétoilé vient-il faire dans cette périlleuse aventure ? Il aurait eu un coup de cœur pour l’édifice, dit-on, et souhaiterait y installer ses « manufactures de glaces, de chocolats et de biscuits, un “réfectoire” accessible au public, une résidence de cuisine, un laboratoire international des pratiques culinaires traditionnelles et de demain ainsi que le siège du groupe ». 

Une vitrine de la créativité

La rénovation (prévisualisée ci-dessus) prévoit de conserver la structure originelle, de restaurer toiture et cloisons mobiles.
La rénovation (prévisualisée ci-dessus) prévoit de conserver la structure originelle, de restaurer toiture et cloisons mobiles. Artefactory Lab pour Jouin Manku et Perrot & Richard

Le projet est pleinement soutenu par l’État : « C’est en effet le ministère de la Culture, soucieux du devenir de la Maison du peuple – propriété de la Ville de Clichy, qui était elle-même à la recherche d’un programme ambitieux permettant de donner une seconde vie à ce monument emblématique de l’histoire de la ville –, qui a suggéré au groupe Ducasse de s’y intéresser », indiquait le ministère en juin 2021 par voie d’un communiqué officiel qui promet « une restauration intégrale de ce chef-d’œuvre de l’architecture moderne ».

La visite des lieux laisse mesurer l’avancement de son délabrement. Sur ce point, pas de discussion possible. Face à une municipalité qui refuse de dépenser le moindre centime pour entretenir l’édifice, encore moins le rénover, ce rachat par le privé apparaît à ce jour comme la seule chance pour sauver ce totem en espérant que son intégrité soit scrupuleusement respectée.

Le groupe Ducasse et Apsys assurent qu’il restera un lieu de vie et souhaitent qu’il s’affirme comme une vitrine de la créativité des Hauts-de-Seine. « Ce sera très inspirant de pouvoir investir un bâtiment dont l’influence sur l’architecture contemporaine est toujours visible aujourd’hui. Ducasse ne pouvait rêver plus bel écrin pour installer ses activités. Par sa polyvalence, l’édifice nous permet d’y faire vivre harmonieusement notre siège, nos manufactures, deux restaurants et d’être très largement ouverts sur l’extérieur et le quartier. Avec Apsys, nous comptons bien rendre tout son lustre à la Maison du peuple ! » déclare Véronique Lartigue, présidente du Groupe Alain Ducasse.

L’avenir nous dira si cette icône perpétue sa dimension populaire, mais aujourd’hui, l’état du bâtiment n’autorise plus d’attendre, de récents dégâts des eaux ayant accéléré sa dégradation. Le début des travaux est prévu au printemps pour un achèvement au second semestre 2023.

> Maison du peuple de Clichy. 7, rue Martissot. 92110 Clichy. Ville-clichy.fr