Petits restaurants : quand les architectes mettent en scène la vente à emporter

Ont-ils trouvé le remède aux commandes en livraison ? Ces minis restaurants ont confié leur décor à des architectes d'intérieur de renom qui ont relevé un double défi : réaliser un lieu fonctionnel pour le personnel et agréable pour les clients. Qu'on soit plutôt burger, pizza ou sandwich, le take-away se mange désormais à la sauce archi !

Dans cette rue de Pigalle, la devanture du restaurant Dizen interpelle. Nous voilà déjà le nez levé vers le menu et là est peut-être l’objectif : séduire l’œil avant le palais.

On avait vu éclore, au lendemain du premier confinement, la dark kitchen du groupe Eleni, StreetLab, regroupant son enseigne phare Yaya par Juan Arbelaez et trois autres types de snacks à se faire livrer ou à emporter. Plus récemment, The Original Food Court s’est implanté à Paris, réunissant seize restaurants. Les deux adresses, accessibles sur les plateformes de vente en ligne, permettaient aussi à leurs clients de commander sur place. Depuis, d’autres ont tenté le coup en solo. La tendance serait-elle passée à l’enseigne indépendante, branchée mono produit et décoration pointue ? Ces exemples signés par des architectes d’intérieur de renom semblent en attester.

Comptoirs ou petits restaurants ?

Ces nouveaux restaurants ont pignon sur rue et vue sur cuisine. Si la convivialité n’y est pas, force est de constater que dans une ville où les pauses déjeuner sont millimétrées et où les dîners sont de plus en plus rarement cuisinés maison, le genre doit s’adapter. La floraison de comptoirs à thème et sans chaises est en marche et touche tous les styles de cuisine.

Dumbo par Uchronia

Certains ont tout de même choisi de laisser une petite place au comptoir pour dépanner les gloutons pressés. C’est le cas de la seconde adresse de Dumbo, maître du smash burger parisien, imaginée par Uchronia, qui accorde à son bar une fonction bien particulière. A rebours des tonalités fortes que le collectif aime habituellement manier, le blanc permet aux burgers d’occuper une place de choix une fois déposés sur le bar moulé en fibre de verre (qui aura nécessité pas moins de six mois d’élaboration). « Le monochrome permet aux couleurs d’un burger et de ses sauces de ressortir encore plus, elles fonctionnent comme un tableau vierge avant de le peindre » explique Julien Sebban, l’architecte en chef.

Dumbo est l’un des petits restaurants les plus récents, ouvert en février 2022 à Paris.
Dumbo est l’un des petits restaurants les plus récents, ouvert en février 2022 à Paris. Felix Dol Maillot

Cet écrin de poche est ouvert sur la rue : une façon d’inviter les curieux à observer les gestes des cuistots. La commande se fait à travers une fenêtre, située à droite de la devanture, et se retire en cuisine directement. Une distribution qui permet aux équipes de gagner du temps et de séparer les tâches. Ici, pas de perte de temps ni d’espace.

Dizen par Mur.Mur Architectes

Chez Dizen, on a choisi de cumuler les fonctions. Cette cuisine de 15 mètres carrés dessinée par Mur.Mur Architectes n’a aucun secret à cacher. Les ingrédients qui finiront dans le délicieux pain pita s’affichent sous vos yeux, à travers la vitre du comptoir ; les cuistots s’agitent en arrière-plan. La personne qui a pris votre commande sera aussi celle qui vous tendra votre sabich, un sandwich israélien gourmand à l’œuf et à l’aubergine.

15 m2 mais une façade futuriste et attrape-l’œil pour le comptoir isréalien Dizen.
15 m2 mais une façade futuriste et attrape-l’œil pour le comptoir isréalien Dizen. Pierre-Lucet Penato

Fait marquant : ce restaurant de poche est aussi Instagramable que les plus belles tables du moment. Pourquoi les deux patrons, David Israël et Marc-Antoine Dudouit, ont-ils commandé à leurs architectes un tel décor ? Ils répondent : « Cette architecture forte était un parti pris dès le départ. Nous voulions à la fois quelque chose de simple, percutant, et cohérent avec le mono produit, le sabich. Ainsi, notre capsule attire l’oeil depuis la rue et, quand on s’en rapproche, met en lumière la préparation de de ce sandwich riche en saveurs»

Pizz’Aria par Humbert & Poyet

La liste des nouveaux petits restaurants parisiens continue avec Pizz’Aria, une pizzeria XS qui aura le bon sens de vous offrir le gîte en cas d’attente. Avec aux manettes le talentueux duo monégasque Humbert et Poyet, l’établissement propose quelques places assises qui mobiliseront les foules.

La Pinsa Romana, dodue et croquante à la fois, a trouvé son temple.
La Pinsa Romana, dodue et croquante à la fois, a trouvé son temple. Caspar Miskin

A nouveau, c’est un décor fort, tout de rouge paré, qu’ont imaginé les architectes. Ainsi vêtue, l’adresse sort du lot rue Montmartre alors que le problème du service s’efface.

Poggi par DG Lab

Rive gauche, un OVNI vient de se poser. Avec sa dégaine façon Memphis et ses recettes inédites Poggi a choisi d’attiser la curiosité pour attirer le chaland. Meublé de quelques tables qui permettront un repas éblouissant — dans tous les sens du terme —, cette nouvelle enseigne propose une fast food élaborée à partir de produits sains.

Passé précédemment par l’agence d’architecture Naço et formé auprès de Laura Gonzalez, David Genin signe la décoration de ce petit restaurant.
Passé précédemment par l’agence d’architecture Naço et formé auprès de Laura Gonzalez, David Genin signe la décoration de ce petit restaurant. DR

34 m2, pas un de plus, nichés en plein 13ème arrondissement : il fallait donc un argument de taille pour amener les Parisiens à faire le déplacement. Enseigne en néon, motif léopard, couleurs primaires et chaises Bold éditées par Moustache sont autant d’arguments qui feront sauter les réticences de certains.

L’architecture est-elle la meilleure des communications ?

Le comptoir new-yorkais Janet, lui aussi imaginé par Mur.Mur. Architectes offre également quelques places assises.
Le comptoir new-yorkais Janet, lui aussi imaginé par Mur.Mur. Architectes offre également quelques places assises. puxanphoto.com

L’architecture réussie d’un lieu attire les regards. Appliquée à des petits restaurants qui n’ont à offrir qu’une barquette compostable, elle devient un art presque essentiel à une nouvelle adresse. Si le bouche-à-oreille est souvent ce qui assoit la réputation d’une table, la décoration s’invite de plus en plus dans l’équation. N’avez-vous jamais pardonné une bavette trop cuite au profit d’un intérieur léché ?

Dans une ville comme Paris où les ouvertures de restaurants s’enchaînent, ces comptoirs semblent avoir trouvé la recette parfaite pour sortir du lot. Couplant une carte pile dans les tendances — smash burgers, pizzas de qualité ou même Bánh Mì chez Nonette ou corned beef sandwich chez Janet — et un décor calibré pour les belles photos, ces cantines ont tout bon. Avant de déguster, les influenceurs, confirmés ou amateurs, prennent l’habitude de photographier leur repas avec en arrière-plan son décor. Coup double : la photo publiée identifiera dans les esprits le menu et la façade du petit restaurant.