Rencontre : Rodolphe Parente, le sens de la fête

Entretien avec l'architecte et designer qui préside Design Parade 2022, à Toulon.

C’est en habitué de la villa Noailles que Rodolphe Parente endosse le rôle de président de la sixième édition du festival international d’architecture intérieure Design Parade Toulon. À cette occasion, il transforme l’ancien évêché en grand appartement un soir de fête, dont il a imaginé toutes les pièces comme autant de « contre-soirées ».


IDEAT : À quand remonte votre première rencontre avec la villa Noailles ?

Rodolphe Parente : C’était à l’occasion d’un festival de musique. Et puis, j’ai approfondi cette rencontre lorsque j’ai travaillé chez Andrée Putman, qui a été la marraine de la première édition du festival de design, en 2006. Cette année-là, Adrien Rovero, un ami de l’ÉCAL, l’école de design suisse où j’ai fait une partie de mes études, a remporté le prix du jury. Enfin, quelques années plus tard, j’ai été invité à dessiner la boutique éphémère de la Villa, lors du festival de mode présidé par Karl Lagerfeld.

IDEAT : Au-delà de ce lien personnel, quelles sont les particularités de la Villa qui vous touchent ?

Rodolphe Parente : J’aime la diversité et la richesse des événements : les expositions des lauréats de la Design Parade, celles du Centre Pompidou à Toulon et désormais les expositions de dessins, comme ceux du designer Pierre Charpin. C’est une véritable loupe orientée sur le monde du design.

IDEAT : Que voulez-vous transmettre en tant que président du jury ?

Rodolphe Parente : Je me sens toujours un peu « vert » (il n’a que 41 ans, NDLR), j’ai donc été très honoré d’avoir été choisi. À travers mon projet et ceux des lauréats retenus, je veux parler d’architecture intérieure, de matières, de volumes, de lumière et de Méditerranée, sans tomber dans les clichés.

IDEAT : Pouvez-vous décrire votre propre projet, exposé dans l’ancien évêché et que vous avez baptisé Contre-soirée ?

Rodolphe Parente : Design Parade est un événement généreux, qui offre l’opportunité de rencontrer des gens incroyables que l’on ne croise que trop rarement. J’avais envie de transmettre cette générosité à travers mon exposition. L’idée m’est venue de travailler sur la contre-soirée d’une fête qui se passerait hors champ, pendant les visites. Concrètement, le concept était de créer toutes les pièces d’un appartement sauf la salle de réception elle-même, car le propre des contre-soirées, c’est justement de ne jamais se dérouler là où la fête est prévue.

Installation « Contre-soirée» lors de la 6e édition de Design Parade Toulon.
Installation « Contre-soirée» lors de la 6e édition de Design Parade Toulon. Grégoire Couvert

IDEAT : Comment avez-vous fait le lien entre cette idée de fête et l’architecture intérieure ?

Rodolphe Parente : Je l’ai transposée en travaillant sur la volumétrie, la spatialité, la déambulation, la micro-architecture et les macro-meubles.

Vous effectuez aussi un travail sur les matériaux, que vous osez twister sans œillères…

Derrière une première lecture qui peut paraître joviale et colorée, se cache un travail sur les mariages entre matières et savoir-faire que l’on utilise de façon sensible. Par exemple, notre cuisine est une salle des fêtes structurée par deux grands filtres en film dichroïque qui a été plissé pour permettre une relecture de cet élément. J’ai aussi imaginé une salle de bains comme une micro-architecture en panneaux de Bakélite, employés en général pour les coffrages de fondations ou sur les chantiers. J’aime provoquer l’usage sophistiqué de matériaux pauvres…

Quels sont les autres éléments qui composent votre contre-soirée ?

J’ai imaginé un lit paravent-escalier très architecturé, rond, pour danser autour ou sur lequel on peut commencer ou bien finir la soirée… C’est un espace très théâtral et ce lit-podium en est la composante la plus caractéristique.

Mise en scène d’un appartement un soir de fête, par Rodolphe Parente.
Mise en scène d’un appartement un soir de fête, par Rodolphe Parente. Grégoire Couvert

Votre exposition est un lieu à voir ou à vivre ?

Elle est mise en scène autour d’une musique de fond, d’éclats de voix, comme si l’on était témoin d’un moment de fête hors champ. L’idée, c’est de faire participer le public à une ambiance… L’architecture intérieure, c’est donner la possibilité au visiteur de vivre des espaces, d’être en contact avec des matières et d’utiliser des objets.

En quoi ce projet est-il différent de vos chantiers habituels ?

Il me donne l’occasion d’exprimer l’une de mes facettes les moins connues. Il est plus audacieux que les résidences privées, qui se doivent d’être pérennes, mais il a été conçu avec le même niveau d’exigence et de détails que nos autres réalisations. C’est une forme de rêverie, le reflet d’un moment vécu, très incarné… Mais, comme toujours, j’ai répondu à un contexte précis, en m’inspirant cette fois de l’esprit de fête des Noailles, de la lumière de la Méditerranée et du site de cet ancien évêché dont j’ai peint les murs en violet, couleur de la rédemption.

Considérez-vous cette production éphémère comme un laboratoire ?

Cette exposition m’a surtout permis de mettre en place de nouvelles collaborations. Par exemple, j’ai développé une suspension avec le parurier et décorateur Goossens. J’ai travaillé avec la maison Lemarié Lognon, qui développe dans l’architecture intérieure son savoir-faire du tissu plissé — habituellement employé dans la mode. Notre agenceur Lallier a aussi façonné de nouvelles finitions de matières, des bois texturés et des mises en teinte.

Que vont devenir les matériaux utilisés après l’exposition ?

Ils ne seront pas jetés : tous les éléments de scénographie seront distribués à des écoles d’art de la région toulonnaise. Tout aura une seconde vie. Nous avons aussi des meubles, qui seront vendus, et surtout des prêts, comme une tapisserie du Mobilier national ou les œuvres de Claude Viallat, le peintre contemporain iconique du Sud-Est.

Votre autre rôle, c’est d’avoir sélectionné avec votre jury dix finalistes pour le concours d’architecture intérieure. Comment les avez-vous choisis ?

J’ai sélectionné des projets en prise avec la réalité, audacieux, qui font bouger les lignes, qui apportent une singularité tout en étant ancrés dans notre époque. Je souhaitais aussi que l’on mette en avant des personnes qui faisaient vraiment de l’architecture intérieure, qui interrogent la matérialité, les usages et la volumétrie.