Culte : Marabout, le dernier des pavillons préfabriqués de Raymond Camus

Cette architecture légère des fifties s’est un temps multipliée comme des petits pains. Remarquablement conçue, elle est signée Raymond Camus et a été fabriquée dans les ateliers de Jean Prouvé. Aujourd’hui, il n’en reste qu’un exemplaire connu en France, détenu par un galeriste passionné.

Le curateur perpignanais – c’est ainsi qu’il se définit – Clément Cividino se rappelle très clairement le premier exemple d’architecture préfabriquée qu’il a pu acquérir. Il s’agissait d’une maison Bulle Six Coques, une résidence de vacances pour les employés d’Elf Aquitaine, dessinée dans les années 60 par Jean Maneval. Clément Cividino l’a dénichée sur Leboncoin pour une somme dérisoire : « Les frais de transport et de stockage étaient bien supérieurs au prix d’achat ! »

Clément Cividino a découvert l’existence du pavillon Marabout grâce à des blogs en ligne sur l’architecture. Dotée de 13 côtés, la structure s’étend sur une surface de presque 50 m2 et peut être montée en une heure et demie. Chacun de ses panneaux pèse un maximum de 28 kg, qui rendent l’ensemble facilement transportable.
Clément Cividino a découvert l’existence du pavillon Marabout grâce à des blogs en ligne sur l’architecture. Dotée de 13 côtés, la structure s’étend sur une surface de presque 50 m2 et peut être montée en une heure et demie. Chacun de ses panneaux pèse un maximum de 28 kg, qui rendent l’ensemble facilement transportable. Stephan Julliard

Depuis, les maisons préfabriquées du XXe siècle sont devenues sa passion. « Le fait qu’elles soient démontables et transportables est fantastique. On est vraiment entre la sculpture et l’habitat. » Ces dernières années, il a exposé deux exemples : l’Hexacube, de Georges Candilis et Anja Blomstedt, ainsi qu’une structure aux allures d’ovni baptisée chalet Nova, œuvre du Studio Rochel, présentée lors du Salon du meuble de Milan en collaboration avec Louis Vuitton, en juin 2022.

Une découverte fortuite

Surmontée d’un toit conique en aluminium, la structure a été dessinée en 1958 pour loger des militaires français en mission au Maghreb.
Surmontée d’un toit conique en aluminium, la structure a été dessinée en 1958 pour loger des militaires français en mission au Maghreb. Stephan Julliard

Il a également organisé six expositions au cœur du domaine viticole Terra Remota, en Catalogne, à quelques kilomètres de la frontière franco-espagnole. Sa plus récente trouvaille s’appelle le pavillon Marabout, ainsi nommé pour sa forme de polygone régulier à treize côtés, évocation des tentes coniques algériennes ressemblant aux tombeaux des marabouts. Conçu dans les années 50 et fabriqué dans les ateliers de Jean Prouvé, à Nancy, il a été imaginé par l’ingénieur Raymond Camus en réponse à une demande de l’armée française concernant un bâtiment léger.

Quelque 150 exemplaires ont été utilisés lors du conflit en Algérie, chacun permettant de loger douze militaires. Un certain nombre a aussi été installé en Afrique du Nord par la Compagnie française des pétroles (qui allait devenir Total) et deux autres sur un terrain à Villejuif, en banlieue parisienne, appartenant à EDF Gaz de France Distribution. Raymond Camus ne bénéficie certes pas aujourd’hui d’une renommée internationale, mais sa carrière a néanmoins été prolifique.

Clément Cividino a décoré son intérieur avec des pièces de design du XXe siècle, dont une rare table à manger Doron, de Charlotte Perriand, pour la station des Allues à Méribel et réalisée par René Martin, qui signe aussi la série de chaises. Dessus, grande céramique de Jean-Paul et Suzy Brunet (1960). Bibliothèque basse fabriquée dans les ateliers de Jean Prouvé.  Les formes courbes du canapé Triennale, de Marco Zanuso (Artflex, 1951), épousent les murs circulaires. Fauteuil Lady, du même (Cassina). Lampadaire noir et blanc d’origine suisse des 80’s. Stools en bois de Charles & Ray Eames (Vitra, 1960).
Clément Cividino a décoré son intérieur avec des pièces de design du XXe siècle, dont une rare table à manger Doron, de Charlotte Perriand, pour la station des Allues à Méribel et réalisée par René Martin, qui signe aussi la série de chaises. Dessus, grande céramique de Jean-Paul et Suzy Brunet (1960). Bibliothèque basse fabriquée dans les ateliers de Jean Prouvé.  Les formes courbes du canapé Triennale, de Marco Zanuso (Artflex, 1951), épousent les murs circulaires. Fauteuil Lady, du même (Cassina). Lampadaire noir et blanc d’origine suisse des 80’s. Stools en bois de Charles & Ray Eames (Vitra, 1960). Stephan Julliard

Né en 1911, il a fondé sa propre entreprise en 1948, spécialisée dans les habitations préfabriquées. « Un article l’appelle “le pape de la préfabrication” », relève Clément Cividino. Ce prélat a participé à la reconstruction du Havre et à l’élaboration de quelque 170 millions (!) de logements à travers le monde, des États-Unis à la Russie, grâce au procédé Camus, un système de préfabrication de panneaux de grandes dimensions dans lesquels les isolants, les huisseries et les canalisations étaient intégrés en usine. 

Tout d’un trésor 

Connu pour la réalisation de mosaïques monumentales dans les années 60 et 70, le collectif de design L’Œuf centre d’études a conçu le luminaire en aluminium à droite du lit.
Connu pour la réalisation de mosaïques monumentales dans les années 60 et 70, le collectif de design L’Œuf centre d’études a conçu le luminaire en aluminium à droite du lit. Stephan Julliard

Pour Clément Cividino, l’intérêt principal du pavillon Marabout réside dans son ingéniosité : « Il est complètement autoporté et on n’a pas besoin de machinerie ou d’outillage spécial pour le monter. » Un isolant en polystyrène équipe ses panneaux d’aluminium, dont le poids maximal est de 28 kg, qui forment la structure. La version de Clément Cividino fait partie de celles commandées par « EDF-GDF » et a la particularité d’être dotée d’une structure à double-toit et d’un meuble passe-plat unique.

Lorsque la compagnie d’énergie a décidé de faire construire un immeuble sur son terrain de Villejuif, en 1972, l’un de ses agents a reçu l’autorisation d’acquérir l’un des deux pavillons et l’a installé comme résidence secondaire dans l’Aveyron. Sa restauration a été le sujet de vifs débats. « L’aluminium était quasiment gris-noir, raconte le curateur. Nous avons essayé au moins trente techniques à l’atelier pour le récupérer sans qu’il soit trop brillant. L’idée était de ne pas lui donner l’aspect tout neuf d’une caravane Airstream. »

Au mur, photo de Jean Ribière prise dans l’église Notre-Dame de Royan. Table basse Les Carrats, de Georges Candilis et Anja Blomstedt. Dessus, lampe en plastique blanc de Bruno Munari. Le meuble passe-plat est une pièce unique créée pour le pavillon Marabout. Sculpture en plastique par Les Simonnet.
Au mur, photo de Jean Ribière prise dans l’église Notre-Dame de Royan. Table basse Les Carrats, de Georges Candilis et Anja Blomstedt. Dessus, lampe en plastique blanc de Bruno Munari. Le meuble passe-plat est une pièce unique créée pour le pavillon Marabout. Sculpture en plastique par Les Simonnet. Stephan Julliard

Le degré d’implication de Jean Prouvé dans l’élaboration de l’ensemble n’est pas connu. « Le pavillon Marabout a vraiment été imaginé par Camus. Après, ce que les ateliers de Prouvé ont apporté en matière de conseil et d’amélioration, je n’en ai aucune idée », admet Clément Cividino. On sait néanmoins que l’architecte et designer français faisait l’éloge de cette construction dans les cours qu’il dispensait au Conservatoire national des arts et métiers et qu’il s’en est inspiré pour sa station-service Total, qui, en 1969, reprend un certain nombre des principes établis par Camus : la forme tridécagonale et une structure métallique surmontée d’un toit en parapluie.

Peu importe le rôle de Prouvé, le pavillon Marabout demeure pour Clément Cividino l’une de ses meilleures découvertes : « C’est un trésor par sa rareté, puisque c’est le seul exemplaire restant sur le sol français. Le deuxième n’a jamais été retrouvé. Et puis, c’est une pépite. Raymond Camus était un précurseur dans son domaine et son architecture légère une vraie success-story à la française. »